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Étonnements 2009
100 monuments 100 écrivains : jai participé
à lédification de ce bel ouvrage. Merci donc à Gauthier Morax de
m'avoir sollicité pour ce projet collectif. Relier la minéralité chargée d'histoire
des lieux de notre patrimoine avec l'imagination débridée des écrivains est une idée
qui ne manque pas d'allure. Certains lieux nous parlent et j'aurais volontiers opté pour
le riche patrimoine de ma région d'origine, les ruelles ventées de Langres ou les
sources de la Marne et la grotte de Sabinus, le chef gaulois, dédale calcaire que j'ai
arpenté comme tous les gamins du coin à la lampe électrique. Mais ces lieux ne
figuraient pas sur la liste des 100 monuments proposés. En revanche, il y avait le
château de Coucy. Lendroit, je le connaissais den bas, de la plaine,
quelques ruines perchées en haut dun plateau. Mes
occupations professionnelles ne mavaient jamais permis de my arrêter, je
continuais mon chemin dans lAisne ou en direction de lOise : Beauvais,
Soissons, Compiègne, Saint-Quentin, Creil, Laon nont plus de
secrets pour moi. Jai même failli passer un week-end à lHôpital de Chauny,
il y a plusieurs années. Mais ce nest pas le sujet. Il me fallait
restituer tout ce que ces voyages m'avaient apporté dans ce grand Est, agglomérer toutes
les visions fugitives de cette terre marquée par les vagues incessantes d'envahisseurs,
des chevaux d'Attila aux Panzers allemands. Dans la solitude dun bel été,
je me suis rendu sur le site de Coucy-le- Château pour mimprégner du lieu. Vu d'en haut, il est plus facile à regarder la plaine, les lieux proches, le
chemin des Dames et la multitude de cimetières militaires. J'ai donc pris un réel
plaisir à restituer l'histoire de Coucy qui épouse toutes les autres, toute la nôtre et
toute la mienne qui me fait retracer de temps à autres mes vies de VRP.
Jai reçu, à la suite de ma contribution en 3000 signes et de ma découverte
émerveillée du lieu (ici, texte publié et photographies
personnelles en prime), le cadeau dun exemplaire de ce livre magnifique (voir en
note de lecture) et une invitation à mes rendre à la Conciergerie
(qui figure dans le recueil, commenté par Robert Badinter). Pressentant que la soirée
serait dune qualité rare niveau petits fours, je my suis rendu. Ici, tout le
gratin du patrimoine était réuni, tous ceux qui participent à la sauvegarde nationale,
main sur le cur et tête relevée, participaient à la fête. Quelques discours (je
rends hommage à Adrien Goetz davoir nominativement remercié un a un les auteurs)
puis, Frédéric Mitterrand a conclu la série en écartant rageusement les microphones
crachotants pour montrer avec brio que les voûtes de la Conciergerie valent toutes les
sonorisations. On pourrait penser que cela navait rien à voir avec la solitude
échevelée de mon château de Coucy où jétais seul visiteur. En réalité, je ne
connaissais personne et, trop solitaire pour entamer la conversation, jai préféré
déambuler entre les lourdes arches de pierre, comme je lavais fait cet été à Coucy, solitude de voyageur comme toujours dans les longues heures de routes
et d'autoroutes, en long et en large à travers Champagne, Ardennes et Picardie.
(28/12/2009)
Je me suis ramassé une veste à un examen récemment. Javais un
mémoire à fournir sur « la psychologie de la relation ». Cétait dans le cadre
dune certification de niveau Master, organisée conjointement par mon travail et une
université, et je pensais naïvement quune sorte de reconnaissance des compétences
allait sappliquer à ceux qui, comme moi, uvrent dans
ce métier depuis plus de 6 ans. Mais il nen a rien été et la réussite était
uniquement corrélée à une formation de seulement quatre jours sur cette fameuse
psychologie de la relation, à la suite de quoi il fallait uniquement bâtir un tout petit
mémoire denviron trente pages sur un des aspects de ce
cours. Facile donc en apparence sauf que un autre Master de Lettres modernes auquel je
tenais comme à la prunelle de mes yeux mavait accaparé jusquà fin septembre
(là cétait la réussite que jespérais, mention TB). Bref, je nai eu
quun bon mois pour me retourner mais même
Et cest bien de retournement
quil sagit, monde à lenvers, puisque jétais accompagné par un
tuteur novice dans le métier et quelques intervenants obnubilés par asseoir la
légitimité de leur projet. Donc, pas moyen de faire autrement que de me raccrocher à ce
fameux cours de quatre jours, cest déjà un des aspects qui ma heurté, le
dilettantisme dune université qui accorde un niveau bac + 5 après une vague
formation si ténue alors que cinq ans auront été nécessaires pour, quen plus des
heures de mon travail nourricier si éloigné, jobtienne un niveau équivalent en
Lettres modernes. Déjà, cette différence me heurtait beaucoup. Mais en plus, il
mavait fallu subir le fameux cours de quatre jours sur la psychologie de la
relation, tenu par une espèce de gourou psychanalyste lacanien qui alternait des silences
long comme le jour avec des phrases vides du genre « pour faire votre métier il faut
aimer les autres » et que chacun de mes collègues semblait boire comme du petit lait. Je
comprends dailleurs mieux comment les sectes font pour recruter
Le cours ainsi
désorganisé ma déplu et il était évident que le mémoire que jallais
présenter ne correspondrait pas à ce qui était attendu, genre, le désir ou
langoisse dans la relation que jentretiens avec les autres et machineries
psycho-choses simplistes. Non que je nai rien appris, les transferts,
contre-transferts et autres sont utiles pour voir les complications
de lesprit, mais la manière dont ils étaient abordés me semblait dune
manipulation trop aisée pour être honnête. Que quelquun ose émettre une
objection, lensemble du groupe sous le regard bienveillant du maître, vous taxait
de prétendre à une relation de pouvoir sur lautre, et ça, forcément, cest
vachement mal, cest Satan
Cela me faisait penser à cette vieille technique
qui avait cours lors de linquisition : si vous avouiez être hérétique, vous
étiez coupables, donc condamné au supplice et si vous vous taisiez, alors cest que
vous étiez un menteur donc, digne du même châtiment.
Cette perversité a déjà été soulignée par Georges Canguilhem,
philosophe et professeur à la Sorbonne et qui succéda, excusez du peu, à Gaston
Bachelard. Pourfendeur de la psychologie, il voit chez ses adeptes des « adorateurs du
fait », cette vision justifiant lexistant, et du coup le psychologue, constitue
déjà pour le philosophe une hérésie, « limpossibilité logique de
lintrospection » Un peu comme si le psychologue se posait la question de pourquoi
un type fait rhâââ en mourant alors que la vraie question que se poserait un philosophe
est de savoir pourquoi on meurt. Ainsi, en voulant expliquer lexistant, la
psychologie, « science des réactions et du comportement », devient « école de
lobéissance », selon Canguilhem. Le philosophe a même été beaucoup plus loin,
lui qui fut un grand résistant et qui soutint sa thèse sur Le normal et le
pathologique en pleine Seconde Guerre mondiale, en affirmant qu
"il ne serait pas outré de supposer que la psychologie [
]paraissait
alors sans doute l'exemple même d'une pensée de la collaboration. ». Je comprends mieux
maintenant pourquoi cette formation ma choqué, ainsi placée dans la structure de
mon boulot et qui sest adressée à une bonne centaine de mes collègues
récompensés par la carotte dune certification universitaire. Histoire de résister
donc, je me suis sabordé comme la flotte française à Toulon en 1942.
(17/12/2009)
Jai été sélectionné pour le prix 30 Millions damis avec Bestiaire
domestique. Je ne lai pas eu et cest une déception : jaurais bien
aimé me vanter devant mon lectorat sporadique : et vous savez, jai eu le prix 30
Millions damis ! Ça pose son homme, à défaut de tenir son chien. Et puis tout le
monde connaît : la musique vient tout de suite à lesprit, de vieux réflexes aussi : allez, viens Mabrouk, bon chien, bon chien
Le Goncourt
cest bien, ça impressionne le pèlerin mais ça rend jaloux vos collègues
écrivains. Le Nobel, cest trop inaccessible et personne ne vous reconnaît dans la
rue, sauf les suédois. Non, vraiment, ce prix était pile poil (de chat) dimensionné
pour moi, un prix de concierge, une notoriété à vous obtenir à vie des croûtons
gratuits chez votre boulanger, un os toutes les semaines chez le boucher. Sans compter le
défraiement lorsque jaurais participé à un salon du livre pour Bestiaire
domestique : peu mimporte davoir à accrocher une pancarte
: votre auteur, lauréat du prix 30 Millions damis,
est subventionné par Fido boulettes. Il paraît même que cest le prix préféré
de Michel Houellebecq. Rendons toutefois hommage au lauréat de cette année : Marc Alyn,
auteur de Monsieur le chat. Évidemment, avec un titre pareil, cétait
couru davance. Je suis mauvais joueur et jaloux. Pour me venger, je nai pas
donné à manger à mon poisson rouge pendant trois jours, mon chat dort depuis à la cave
et jai bouché lentrée du refuge à oiseaux avec du ciment.
(09/12/2009)
Après la vente des collections dAndré Breton en 2003, après la
vente des affaires encore tièdes de Julien Gracq, lannée précédente, le
patrimoine littéraire continue de séparpiller : aujourdhui, 1° décembre,
cest au tour de Charles Baudelaire de rejoindre Drouot. Le fond Aupick-Ancelle sera
dispersé aujourdhui, 1° décembre.
Aupick, on connaît : cest le nom de la mère du poète après quelle se soit
remariée avec lillustre Général, héros des campagnes du premier empire et
dexpéditions coloniales lors de la restauration. Le pauvre Charles est
dailleurs coincé entre sa mère et son beau-père au cimetière du Montparnasse.
Narcisse Ancelle fut le notaire de la famille et protégea les biens du poète dépensier,
ce qui, on sen doute, nincita pas Baudelaire à porter dans son cur cet
« homme insupportable, le type du jocrisse, du lambin, de l'hurluberlu, et de l'homme de
désordre » et qui sy connaissait en littérature « comme les éléphants à
danser le boléro ». Ceci dit, rendons hommage à la rigueur notariale davoir su
conserver pendant cent cinquante ans tout lhéritage du poète, papiers, lettres,
éditions rares et dédicacées, tout un trésor qui va se trouver irrémédiablement
désuni.
Les amateurs peuvent consulter le catalogue de la
vente : de lextrait de naissance au billet émouvant que Baudelaire, déterminé
à se suicider en 1845, envoya à Ancelle. Ce parcours est très
intéressant et montre à travers des lettres les relations nombreuses que Baudelaire
entretenait, de Catulle Mendes à Maxime du Camp, de Théophile Gauthier à Théodore de
Banville, Lecomte de lIsle ou Villiers de lIsle Adam. Mais lauteur du Peintre de la vie moderne fréquentait aussi Édouard Manet,
Eugène Delacroix ou Constantin Guys. On retrouve également la correspondance avec
léditeur des Fleurs du mal, Poulet-Mallassis, des
articles de journaux parus à lépoque de la publication du fameux recueil. Passons
rapidement sur les photographies du Général Aupick dont Baudelaire, on le suppose,
naurait pas été fâché de se séparer pour verser un regard attendri sur la
bibliothèque personnelle de Baudelaire. Il y a aussi les inévitables démarches de
succession comme cette facture du tailleur de Baudelaire, acquittée par le notaire deux
ans après la mort du poète, pour une redingote noire et un pantalon de satin. Les a-t-il emportés dans sa tombe ? Mais que dire aussi de
lexemplaire des Paradis artificiels, opium et haschich,
dédicacé « à ma mère CB ». A-t-elle lu la phrase suivante ? « Mais les profondes
tragédies de lenfance, bras denfants arrachés à tout jamais du cou
de leurs mères, lèvres denfants séparées à jamais des baisers de leurs
surs, vivent toujours cachées, sous les autres légendes du palimpseste.».
Tout cela va donc se trouver dès ce soir dispersé, éclaté en 176 lots.
En guise de conclusion, opposons à ceux qui veulent ainsi désagréger lhéritage
de Baudelaire ce quil affirmait également : « le palimpseste de la mémoire est
indestructible ».
Dernière minute : le prix total de la vente a dépassé les 4 millions
d'euros, le double des prévisions. Une édition originale des Fleurs du mal a
atteint 775 000 euros et la "lettre du suicide", citée plus haut, 225 000
euros. Le dépeçage d'écrivain est un sport qui qui rapporte gros.
(01/12/2009)
Jai donc été pas mal occupé avec Paul Léautaud ces trois
derniers mois : lectures intensives, reportage photographique même, le jour où
javais découvert que mon pied à terre francilien était tout proche de la maison
dans laquelle il avait vécu 45 ans. Me voilà donc libre pour picorer dautres
lectures (voir Liquide de Philippe Annocque en Notes de lecture
dautres viendront, Philippe Claudel
). Je parcours aussi une biographie de
Joseph Kessel, assez mollement je dois dire, peut-être parce que au sortir de Léautaud
je nai pas envie de me plonger entièrement dans la vie si riche dun tel
écrivain que raconte les 950 pages dYves Courrière. Ça ferait genre « un
écrivain peut en cacher un autre », presque un slogan SNCF ou plutôt RER dans mon coin
de banlieue.
Mais il y a un évènement raconté à la page 219 qui ma intrigué. On est en 1923,
Joseph Kessel a 25 ans, il est à laube de sa carrière littéraire. Il a épousé
deux ans auparavant, Alexandra Polizu-Michsnesti, quil appelle Sandi et quil
avait rencontrée en mer de Chine. Les deux tourtereaux cherchent une maison pas très
loin de Paris et la trouvent à Sceaux qui nétait à cette époque « quune
bourgade de paysans et de maraîchers et offrait un calme absolu ». On indique
ladresse, 130 rue Houdan, et je maperçois que ce lieu est encore plus près
de mon pied à terre que celui de Léautaud : 800 m à vue de nez. Je me promets
daller voir à ma prochaine visite parisienne cette « belle maison de pierre à un
étage, entourée dun jardin aux arbres magnifique. Sandi tomba amoureuse dun
cèdre dont lombre sétendait jusquau toit de la demeure». Curieux donc
de savoir si cette bâtisse avait survécu à la modernité échevelée de la région
parisienne. Le sort a hâté ma préoccupation dune manière étonnante. Jai
reçu récemment par courrier les taxes traditionnelles à payer quand on possède un pied
à terre mais quelle ne fût pas ma surprise de mapercevoir que la Trésorerie qui
me lavait adressée, occupe précisément le numéro 130 de la rue Houdan. Je
connais donc maintenant le sort ultérieur qui a été réservé à la maison de Kessel.
En réalité, il est probable que lécrivain se sépara de cette habitation à la
mort de Sandi, enlevée par la tuberculose en 1928. Cinq ans à peine mais combien
dintenses souvenirs sans doute entre les moments de répit de la maladie
La trésorerie a effacé toutes ces traces. Il est probable que peu de ses employés
zélés connaissent lhistoire de leur lieu de travail. Les comptes des contribuables
et autres affaires sérieuses dargent accaparent leurs pensées. Pourtant, Joseph
Kessel habitait toujours ici lorsquil termina un de ses plus fameux (et sulfureux)
roman, Belle de jour, magnifié par le film de Luis Bunuel avec Catherine Deneuve.
Personnellement, je travaillerais dans un tel endroit, combien cette histoire me
troublerait, combien jaurais envie daccrocher aux murs des couloirs, dans
lombre des bureaux quelques unes des scènes de ce fameux film ou quelques unes des
citations de ce non moins fameux livre, plutôt du genre macho de la part du lion Kessel :
« «L'amitié est un exercice de l'âme que les femmes ne pratiquent pas.».
(25/11/2009)
Du changement sur Feuilles de route ? Tout
arrive sur le site le plus immobile du paysage web littéraire. Enfin, nallons pas
trop loin tout de même. La maquette des pages reste inchangée depuis le début,
réalisée sur un vieux Front Page, daté de 1998, une pièce de collection dans
lunivers informatique. Mais cest aussi pour cela que le chargement des pages
va si vite
Laspect du site na pas non plus changé depuis au moins
quatre ans. Les habitués y voguent en pays de connaissance. Jai toujours
revendiqué Internet comme un banal outil daccumulation et cest ce quil
doit rester : un simple outil. Cest pourquoi les pages perso de mon hébergeur ont
largement suffit pendant près de dix ans. Jai réussi lexploit de faire tenir
plus de 1500 fichiers dans un espace de 100 M octets, limite maximum qui métait
offerte, grâce à un environnement monacal, juste du texte et quelques photos. Jai
laissé la poussière saccumuler dans les coins. Par exemple, la page Liens, rarement remaniée, affiche de nombreux sites inopérants ou
disparus mais également le témoignage de qui subsiste encore dans cet univers quon
dit si mouvant. «Mouvant », pour moi, est à prendre dans son sens latin de moveo,
se mouvoir, vieille racine dont on oublie quelle a donné en plus de «motivation
», également « émotion ». « Tout corps branché sur le secteur étant appelé à
sémouvoir » comme le dit Hubert Félix Thiéfaine,
javais rappelé cette phrase lors de mon intervention
aux Petites fugues de Besançon en 2004,
cinq ans déjà. Cest uniquement en se sens que fonctionne Feuilles de
route.
Alors ? le grand changement ? Pas grand chose en fait, juste un changement
darrière-cuisine mais rendu obligatoire par la limite de stockage de mes pages
perso. Et cest pour cela que jai retardé cette mise à jour : je ne pouvais
plus mettre en ligne ma page spéciale sur Léautaud et
jy tenais beaucoup. Voilà donc qui est fait : jai opté pour un hébergeur
plus spacieux (grâce aux précieux
conseils de François Bon) mais surtout, pour faire un peu plus pro tout de même, je
me suis payé un nom de domaine : désormais Feuilles de route est accessible en tapant
vingt-trois caractères : www.feuillesderoute.net. Jai donc averti
du changement en page daccueil de mon ancien site. Et jai versé une petite
larme : 209000 connexions tout de même en plus de neuf ans, cela représente une petite
écoute qui mest indispensable car cest très peu pour les sites principaux de
la littérature qui tournent dix à cent fois plus que mes modestes pages. En plus, le
trafic de mon site a tendance à se ralentir depuis deux ans, ce qui, loin de me navrer,
me ravirait plutôt : ah ! atteindre loubli comme un Maurice Blanchot, parvenir au
silence comme un Samuel Beckett, ou, plus en accord avec mon imaginaire, aborder les îles
désertes, les rivages abandonnés du web... Bref, le changement de
ma petite mécanique Internet est important tout de même : jai eu limpression
davoir effectivement repeint ma cuisine (ça me fait penser quil faudrait bien
que jagisse de même pour la vraie de mon domicile) et de lavoir dotée des
évolutions les plus modernes. En route vers de nouvelles aventures !
(13/11/2009)
Traditionnellement, la foire aux livres dAmnesty se tient dans ma
ville une à deux fois par an. Chaque année, jessaie de relater cette manifestation
dans Feuilles de route, généralement à la rubrique Notes de lecture. En 2008,
cétait le 17 octobre et, il y a deux ans, en 2007, le 24 octobre et le 23 mars,
deux foires donc, une de printemps et une dautomne. Lintérêt de noter ce que
je me suis procuré est multiple. Dabord, cela sert plus prosaïquement à
identifier doù proviennent les livres qui finissent par encombrer toutes mes
bibliothèques, parfois sur deux rangées, lune cachant lautre, ce qui
réserve parfois de belles surprises comme celles de retrouver un livre quon croyait
égaré depuis des lustres. Cela sert aussi à marquer dune manière plus précise
les trouvailles du jour. Cette année, pour ma fille, cest sans aucun doute un vieux
recueil de géographie de la fin du siècle dernier et pour moi, un lourd volume
représentant 50 années de lExpress, en parfait état. A ces livres sy
ajoutent une lourde biographie de 950 pages sur Joseph Kessel, par Georges Courrières,
deux romans de Philippe Claudel, Le Rapport Brodeck et Petite fabrique des
rêves et des réalités qui raconte « laventure », comme il dit, de son beau
film Il y a longtemps que je taime et dont javais envie depuis
longtemps. Des poches aussi : La Vie tranquille de Duras, Un
été pour mémoire de Philippe Delerm, Cent ans de solitude de Gabriel Garcia
Marquez, cadeau qua déniché pour moi ma famille lors
dune première visite. Autre cadeau familial et mon favori de
cette récolte : La Rente Gabrielle de Jean Robinet en édition originale numérotée ! A noter aussi LÈre du soupçon
de Nathalie Sarraute, aussitôt relu et dont je possède certainement plusieurs
exemplaires sans compter que ce texte figure dans le volume Pléiade des uvres
complètes que j'ai aussi. Dautres
livres de cette récolte ont aussitôt été dispersés dans la maison. Jai retrouvé sur un petit banc en
bois le Catalogue dobjets introuvables de Carelman qui a fait le délice de
lecture de mon fils, et, sur le bureau de ma fille, une très belle
édition en deux volumes du Livre de la jungle de Rudyard Kipling, datée de 1946 et publiée au Mercure de France, à une époque où
Léautaud passait encore fréquemment dire bonjour à ses anciens
collègues. Au total, environ 40 euros pour tous ces trésors.
(23/10/2009)
Dés le lendemain de lélection dObama, javais placé
son portrait pour ce quil représentait comme « Hope » dans notre monde. Je
lai retiré au bout de quelques mois, non par désintérêt, simplement parce que
cette actualité sétait un peu éventée. Je le remets à cette mise à jour, suite
à son élection au prix Nobel de la Paix. Bien sûr, on trouvera toujours quelques
esprits différents qui pensent que ce nest pas mérité et que rien ne change. Tant
mieux cette confrontation didées que je respecte infiniment. Mais pour moi
cest « Hope ». On connaît la délicate position de la scène internationale,
comme on dit, concernant lIran, mais il me semble quil a réellement tendu la
main, contrairement à son prédécesseur. Nen déplaise à beaucoup, le poids des
USA rend sa présence indispensable, ce qui vaut toujours mieux que quelques effets de
manche, quelques paroles fortes et de quitter des salles de conférences alors que la
France représente un pays qui a marqué culturellement et profondément lIran,
jai pu men apercevoir directement avec ses habitants.
En parlant de Nobel, le deuxième évènement est la nomination de Herta Müller pour le
prix de littérature. Je ne lai jamais lue, ce sera sans doute loccasion. A
priori, on salue le courage de cette femme qui sest élevée contre la dictature
de son pays natal, la Roumanie. Cette histoire me touche aussi parce que la culture
germanique de cet auteur trouve un écho dans mes racines paternelles : après avoir
quitté lAutriche et descendu le cours du Danube à lépoque de Mozart, ma
famille a fini par sétablir près de Sarajevo où la deuxième guerre mondiale a
fini par les déloger. Un récit un peu proche donc où les peuples sont toujours
ballottés par lHistoire (avec sa grande hache).
Ces nouvelles, je les ai appris par Internet au fil de leau comme beaucoup
maintenant, les informations télévisées devenant une sorte dappoint à ce
quon connaît déjà, ajoutés de quelques discours de circonstances. Or, il y a un
phénomène nouveau auquel je ne prêtais pas attention jusque-là,
cest cette mode des commentaires qui ponctuent par dizaine, chaque annonce
dactualité. Non que cela me gêne, mais je découvre souvent une hargne et une
telle violence chez ceux qui postent ces réactions. Le moindre « présumé innocent »
est arrêté et cest aussitôt un lynchage que lon réclame. Les internautes
des quatre coins ont des opinions sur tout et pas beaucoup dévènements trouvent
grâce à leurs yeux. Le même jour, Mitterrand prenait son pesant de calomnies tandis que
jattendais vainement, dans le domaine culture, den apprendre un peu plus sur
Herta Müller. Non seulement, je nai rien appris de nouveau, mais il ma fallu
subir les commentaires répétitifs que lAcadémie Nobel ne servait à rien pour les
plus aimables, jusquaux plaisanteries des plus stupides sur le prénom à goût
fumé de notre nouveau Nobel de littérature. Navrant donc. Cette médiocrité me fait
penser à celle décrite par Paul Léautaud dont je continue le journal. Jen suis à
1944 et aux exactions revanchardes. Nous avons finalement si peu évolué, rien ne nous a
servi de leçon.
Si je nai même plus Internet pour me permettre dapprendre les nouvelles, où
vais-je me renseigner ? Et les blogs de littérature ? A lheure où je les consulte,
soit plus dune semaine après la nomination, rares sont ceux qui évoquent Herta
Müller. Si, tout de même, japprends avec celui de Pierre Assouline dans son article du 9
octobre, que jai partagé avec le prix Nobel la même éditrice (Maren Sell) et la
même photographe (Sophie Bassouls). Cest dingue la vie littéraire quand
même
Jen profite pour rappeler que fin mai 2004 je partais déjà en
repérage à Stockholm (voir en Webcam, Étonnements
et Notes décriture, m-à-j du 09/06/2004
cette dernière rubrique proposant un florilège de réactions de nobélisés).
Même éditrice, même photographe, voilà donc encore dautres points communs qui me
rapprochent de la Suède
mais qui méloignent du coup de Paul Léautaud
tonitruant sans appel sur les écrivains qui se déshonorent en acceptant les prix.
(14/10/2009)
Jévoquais dans ma dernière mise à jour Paul Léautaud et la fête de lHuma.
Curieusement, LHuma est revenu dernièrement pour moi sous la forme dune
sollicitation pour écrire un article dans ce quotidien concernant la triste actualité de
mon entreprise. Jai toujours pris soin jusquici de ne pas dévoiler noir sur
blanc le nom de celle-ci, secret de polichinelle suffisamment explicite cependant sur les
présentations dauteur et pour qui sintéresse à mes livres : « cadre dans
les télécommunications » dans une entreprise autrefois publique et devenue privée, pas
besoin dans dire plus. Pourquoi cette réserve ? Simple précaution de départ, le mot «
roman » sur la couverture autorise à tout dire, pas la peine daller au-delà de la
fiction. Précaution qui se révéla justifiée : quelque années après Central,
Corinne Maier na pas pris cette précaution et son appartenance à EDF explicitement
écrite sur la quatrième de couverture de Bonjour paresse lui valut un procès.
Avec cette simple diplomatie, jai pu continuer à raconter et témoigner sur
lensemble de mes activités professionnelles, en dernier avec CV roman en
2007. Je ne me suis jamais caché, ni freiné, jamais pris de pseudonyme, jai
largement ventilé ma joie à chaque parution auprès de mes collègues, mes responsables
et jusquà Michel Bon en 2000 à la parution de Central. Pour cet article dans
lHumanité, je savais que ce serait différent et que celui-ci serait largement
lu dans la boîte avec mon nom tapé sur lIntranet pour voir à quoi ressemblait
celui qui se permettait décrire là. Pour autant, je nen ai pas fait de
publicité, ni averti quiconque au préalable. Aussi ai-je été tout de même surpris,
quatre jours après la parution, de voir mes responsables N+1 et N+2 comme on dit,
débarquer à loccasion dune réunion que janimais. Première entrevue
face à face avec mon N+1 pour savoir si jallais bien : pas pu mempêcher
déclater de rire, je suis un type très heureux en ce moment. Deuxième entrevue
avec mon N+2 pour savoir si je partageais « les valeurs » de mon entreprise. Comme je
nai jamais réussi à my intéresser et que ça me paraissait suffisamment
vague, jai répondu oui à tout hasard (bonne pioche
). Par contre, moins
hasardeuses et plus fermes sont mes opinions
au sujet de la gravité de cette crise psychologique propre à mon entreprise. Rien ne
doit être minimisé.
Hormis lanecdote, somme toute plutôt sympathique de ces rencontres hiérarchiques,
cela montre combien mon entreprise a verrouillé sa communication à tous les niveaux. Ce
sont ces aspects du langage et de lentreprise qui mintéressent, et ces
interventions prouvent combien je me trompe peu dans mes analyses. Communication
verrouillée, cest bien lexcès qui est la cause de ce triste emballement.
Excès comme dans LExcès lusine de Leslie Kaplan, parue en 1982.
Excès comme « excédé », qualificatif dont ma affublé mon N+1-
ou encore ex-CD, comme ex-conseiller développement qui constituait l'ancienne appellation
de mon travail - . Oui, cest tout à fait cela, une organisation à
lexcès, qui engendre la peur, lauto-contrôle, lauto-alimentation
dun monstre économique et toujours affamé que lon doit nourrir à tout prix
sinon, cest lui qui vous dévore. Cest aussi la raison de pourquoi N+1 et N+2
ont chacun fait 250 km pour venir me rencontrer.
Quant à Paul Léautaud qui forme aussi mon actualité littéraire, je pensais à lui lors
de mes entrevues avec N+1 et N+2 : un esprit libre qui avait toujours dit ce quil
ressentait et jen éprouvais fièrement une certaine filiation.
(30/09/2009)
Beaucoup dactualité qui se bouscule en ce moment, donc beaucoup de
motifs détonnements.
Je pourrais évoquer la fête de lHuma, cru 2009 sous le soleil, et le plaisir que
jai eu de croiser Martine
Sonnet, Philippe Annocque (ah ! les
échanges entre bloggers mais de vive voix !), luniversitaire Dominique Viart, le
fidèle Jacques Charmatz, mon voisin Loïc Barrière et le couple charmant que forme René
Ballet et son épouse. Et puis le concert de Deep Purple le soir, au moins 100
000 personnes (voir en Webcam).
Donc, voilà qui est fait, jai retracé ce rendez-vous qui me satisfait chaque
année. Au fait, ça me fait penser que je ne pourrai être présent lannée
prochaine.
En réalité, je voudrais surtout évoquer dans cette note détonnements toute la
curiosité que jéprouve au sujet de Paul Léautaud qui occupe mes lectures depuis
juillet. Il y a matière, 6000 pages de Journal littéraire (jen suis au
trois-quarts), lintégrale des entretiens quil a eu avec Robert Mallet (10 CD
quand même), sans compter ses propres uvres (Le Petit ami, In memoriam, Amours ), quelques ouvrages biographiques, le pèlerinage accompli
jusquà sa maison de Fontenay, à un kilomètre et demi de mon domicile parisien,
bref, tout une accumulation dinformations que je voudrais commencer à restituer
sans plus attendre. Il me faudra plusieurs mises à jour pour venir à bout de cette
actualité. Ça me fait penser à lapproche que javais eu de Picasso, il y a
quelques années, complète et compulsive pendant quelques mois, mais qui mavait
permis de bien appréhender le peintre, et, sans trop me vanter, il me semble que je suis
capable depuis de reconnaître nimporte quel Picasso à cent mètres et de pouvoir
en estimer approximativement la période. Sans compter que tout cela mavait permis
décrire 1937 Paris-Guernica. Je nai pas de projet littéraire inspiré
par Léautaud mais sait-on jamais. En tout cas, son Journal littéraire, tenu de
1893 à 1956 est à la fois une mine dor mais également une manière de vivre qui
nest pas sans rappeler la tenue régulière dun blog, déplacement de temps et
de manière, temps actuels et clavier en regard de Paul Léautaud, resté toute sa vie
fidèle à lécriture à la plume doie et à la bougie
Voici une anecdote amusante quand je suis allé emprunté à ma bibliothèque municipale
les trois tomes de ce journal, trois petits pavés de 2000 pages chacun. Le
bibliothécaire habituel (lecteur passionné et extraordinaire) a lancé à la cantonade
devant mes trouvailles : « Ah ! Vous aimez ça, hein, M Beinstingel ! » (sous entendu,
la littérature peu conventionnelle
). Je me suis senti lâme dun
pornographe et jai filé sans plus attendre sous les regards interrogateurs des
autres usagers avec mes bouquins comme si je venais demprunter une pile de revues
peu avouables
(18/09/2009)
Je me suis aperçu récemment dune chose : exactement au même âge, nous avons, mon
fils et moi, assisté à un évènement historique. Pour moi, cétait la conquête
de la lune, le 21 juillet 1969, jallais avoir 11 ans quelques jours plus tard. Mon fils venait tout juste de fêter le même
anniversaire quand a eu lieu le 11 septembre 2001. Les récentes commémorations de ces
deux évènements montrent comment notre histoire individuelle se fond dans
lhistoire collective sans que nous puissions distinguer véritablement la vérité
de ce dont nous avons été témoins.
Prenons la conquête de la lune. Jai toujours affirmé avoir été réveillé en
pleine nuit par mes parents pour assister à lévènement. Il était peut-être
trois ou quatre heures du matin. Je me souviens que les voisins du dessous étaient venus
regarder la télévision. Je revois les carreaux décorés de la salle à manger, là où
nous habitions alors, dans la vieille ville. Il me semble encore sentir la fatigue,
lengourdissement davoir été réveillé si tôt. Limage était en noir
et blanc, et tremblotante, ça a duré longtemps, nous narrivions pas à nous
détacher du poste de télévision, cétait extraordinaire, dangereux peut-être, il
me semblait quà tout instant la surface de la lune allait engloutir les intrépides
astronautes. Après sans doute au moment daller me recoucher jai regardé la
lune dans la nuit claire de lété. A réciter ainsi mon souvenir, à tenter de
retracer avec précision celui-ci, jai limpression den faire trop,
den rajouter, dalimenter ma croyance. En réalité, je me demande si on
ma vraiment réveillé pour regarder cet événement. Tout le monde croit y avoir
assisté de la même manière. Pourtant les détails qui font vrai sempilent dans
mon souvenir. Les images tremblotantes et en noir et blanc combien de fois les avons-nous
vu depuis ? Les carreaux décorés des fenêtres du salon figurent sur de nombreuses
photos de famille et jai gardé le souvenir des voisins que nous avions alors. Du
coup, je me demande si je nai pas fait mien ce souvenir collectif auquel,
individuellement, je naurais pas assisté. Même mes parents ne savent pas me
renseigner de façon certaine, et, sils le pouvaient, leurs souvenirs ne seraient
sans doute pas mieux sûrs après quarante ans.
On pourrait ainsi penser que le souvenir du 11 septembre, autre événement planétaire et
si récent encore, ne peut souffrir dune telle distorsion du temps. En réalité, en
confrontant il y a quelque jours mes souvenirs avec ceux de mon épouse, je me suis
aperçu combien lévènement en lui-même tissait déjà sa légende sur ma propre
vérité. Ce qui est sûr : cétait un mardi après-midi, jétais à mon
travail, quand elle ma appelé de la maison pour me signaler lévènement.
Jai toujours cru quelle mavait raconté ne pas y croire elle-même,
penser quil sagissait dune fiction américaine, genre La Tour
infernale, mais elle est certaine que jai « amélioré » ce récit avec ces poncifs du genre jeux vidéos et scénario catastrophe que nous avons
nous même répandus dans les heures et jours qui ont suivi. Dans mon souvenir aussi, il
me semble que je suis resté dabord incrédule, je lai raconté de suite à
mes deux collègues de bureau jusquà ce que lun dentre eux reçoive
également un coup de fil affolé de sa femme et quenfin je réalise. Mais est-ce
elle qui la appelé ? Ou lui, pour en avoir le cur net ? Je ne suis plus très
sûr. Dans mon souvenir, en fait, tout senchaîne dans un laps de temps presque
continu et logique avant que je réalise lévènement, mais ce ne fut sans doute pas
le temps réel. Je me souviens que nous sommes allés trouver un technicien qui possédait
du matériel vidéo afin que nous puissions bidouiller un des écrans en télévision pour
suivre lévènement. Cest vrai, mais est-ce moi qui lui ai demandé ? Un autre
collègue ? Où avions nous installé la télévision ? Fallait-il vraiment bidouiller le
récepteur ? En réalité, tout ce que nous savons de lévènement collectif se
glisse dans les interstices de notre incertitude individuelle et tend à distordre la
vérité. Cette part infime dincertitude, ambigüe, hésitante ne demande quà
se creuser et à se remplir de tout un tas déléments, choses, pensées,
mouvements, tropismes (il me semble que le terme quutilisait Nathalie Sarraute est
le plus approprié). Jai limpression quon touche alors vraiment à ce
point à lorigine de la fiction et du roman. Quant à mon fils, interrogé hier sur
ses propres souvenirs face à cet événement, son « pas grand chose » répondu ajoutera
sans doute au fil du temps une disparité égale à celle que jai pour la conquête
de la lune.
(11/09/2009)
Pensée intime et gênante : depuis quelque temps, jimagine que je
pourrais disparaître de bonne heure. Cette pensée est toujours difficile à avouer pour
un esprit un peu superstitieux comme le mien, mais je conçois que, dans les réflexions
dune vie, ce genre détat dâme doit arriver de temps en temps. Ce qui
me rassure, cest que Léautaud (puisque je suis plongé dans son Journal en ce
moment) avait cette impression de temps en temps et que ça ne la pas empêché de
casser sa pipe à 84 ans et en quasi pleine forme. Cest à peu près pareil en ce
qui me concerne. Cest au moment où je me sens peut-être le plus en forme, course
à pied plusieurs fois par semaine comme Sarko (énervant ce bonhomme hein ?) vie saine et
bon sommeil, que cette idée saugrenue me traverse. Jai même la sensation de savoir
comment ça pourrait arriver, la longue et douloureuse maladie, comme on dit, dont
jaimerais dans mon cas quelle se résume à une affection courte et rigolote.
Je connais aussi dans cette précision morbide le nombre dannées qui me reste. Ce
quil y a détonnant cest que, loin de maffliger, cette proximité
temporelle ne minflue en rien : pas envie de changer ma vie dun iota. On
pourrait croire quon va brûler sa vie par les deux bouts, prendre de lavance
sur léternité. Que nenni. On mannoncerait ma fin pour demain que je ne
changerais pas mes habitudes pour deux sous : au lit de bonne heure pour le grand jour.
Cette curiosité tranquille minterpelle. Je la mets sur le compte de lhomme
heureux que je suis. Nallez pas croire que je sois pressé pour autant, je gouterai
bien à cette félicité pour de nombreuses dizaines dannées encore et avec plaisir
! Simplement, si ça doit arriver, tant pis pour moi. Lidée de la disparition est
forcément égoïste. On ne peut la projeter sur autrui et ses proches, mais
sétonner quon puisse disparaître avant dautres plus logiquement
prévisibles, et espérer que le temps de la douleur soit, non pas modeste, mais accompli
par mon entourage de la façon la plus sereine possible. Comme tous, jai vu des
proches partir et je tremble pour ceux qui restent et que jaime éperdument. Je sais
bien que les traces de ces chocs ne disparaissent jamais vraiment, au mieux se muent en
goût damande. Ceux dont nous fardons le souvenir finissent par sestomper, on
garde, une attitude, une mimique, un visage, un trait de caractère. On se le rappelle
rarement entre proches mais combien est douce cette petite commémoration au goût
damande qui tient lieu de postérité. Je suis comme Céline (et Léautaud), la
postérité mimporte peu. De toute façon, elle est incompatible avec le bonheur que
jéprouve. Cest peut-être dailleurs comment il faut comprendre le vieil
adage quon ne peut-être écrivain en étant heureux car, du coup, ça ne sert à
rien décrire, aucun exutoire. Donc, pas de postérité décrivain. Je
disparaitrai un beau jour de bonheur et cest tout. Ceci dit, ce nest pas parce
que je pense à cette éventualité en ce moment que, dici quinze jours ou un mois,
je ne revendiquerai pas le désir de disparaître le plus vieux possible et de battre
ainsi le record de Jeanne Calmant (ce qui me mènerait aux alentours de 2080
). Dans
ce cas, cest déjà une autre manière de vivre que je revendiquerais : devenir un
insupportable vieux monsieur, capable dengouffrer des tonnes de petits fours à
chacune des commémorations annuelles de son centenaire.
(04/09/2009)
Je travaille avec un « organizeur » comme on dit, un éphéméride donc,
mais ma préférence va depuis longtemps au calendrier scolaire septembre/ septembre.
Cest en effet la coupure de lannée qui me semble la plus adaptée. Le grand
vide daoût a poissé de chaleur et de poussière les mois
précédents, nous sommes partis sur les rotules changer dair : repos, plage et
soleil, avons-nous écrits au dos des cartes postales. Au retour, nous rêvons aux
premiers frimas sur les pelouses cuites de nos jardins désolés, nous espérons bientôt
enfiler le léger chandail et partir aux champignons dans les forêts mouillées. Calme,
sérénité. Nous nous promettons comme chaque année de ne pas recommencer le cycle
infernal des rentrées. Ce petit instant de répit dure peu, quelques jours
dhébétude à peine mais ce sont des instants délicieux. Après, sans nous en
apercevoir, malgré nos promesses, nous reprenons le rythme des jours besogneux et occupés : penser à sinscrire au club de sport, aux
abonnements culturels, demander un devis au plombier, ramasser les
feuilles dans les gouttières pour éviter les inondations aux grandes pluies,
résolutions dun début dannée scolaire, sans doute mille fois plus agité
que celui, traditionnel et comptable, qui augmente l'année d'un
millésime dans la léthargie digestive des fêtes de Noël. Cependant,
je préfère de loin cette époque où l'année se renouvelle en automne, dans la lente
glissade des jours, plutôt que celle de janvier où les jours demeurent sombres et
froids, propre à l'inactivité stérile. Je vais donc à la
papeterie et j'achète une recharge septembre/ septembre afin de
noter toutes les millions de choses à faire.
(26/08/2009)
Jai lu dernièrement un ouvrage biographique sur Paul Léautaud (Paul Léautaud, qui êtes-vous ? de Martine Sagaert, La Manufacture).
Totalement par hasard. Jai trouvé ce livre dans un de mes
rayonnages. Je ne me souvenais même plus que javais ce volume à un tel
point que je lai ramené à la bibliothèque municipale après lavoir lu,
croyant que je lavais emprunté
Je ne connais pas Léautaud, où si peu. Je savais son côté « vieux et ses chats »,
semblable à Céline et ses chiens. Et puis jai découvert quil avait vécu à
Fontenay, à un kilomètre à vol doiseau de lappartement que je possède
là-bas. Et davoir utilisé comme lui le même trajet via la station du Luxembourg,
davoir regardé quelques photographies de sa maison, jai retrouvé cette
ambiance qui existe encore dans cette petite couronne de Paris. Céline, dailleurs,
était assez proche de Léautaud, cinq kilomètres plus à louest dans son pavillon
de Meudon, les deux à même distance du centre de Paris, tout au Nord.
Banlieue Sud, donc.
Banlieue Sud Est, fut également le premier roman de René Fallet en 1947, qui
habitait à lépoque Villeneuve-Saint-Georges, dix kilomètres plus à lEst de Léautaud. Trois ans plus tôt
que la parution du livre de René Fallet, le Général Leclerc
libérait Paris et donnait du même coup son nom aux avenues du coin,
un trajet du Nord au sud qui coupe en deux
cette région : à lOuest de Bourg la Reine et dAntony, versant chic :
Fontenay, Sceaux, le Plessis Robinson et la succession de collines vers Meudon ; à
lEst, les quartiers populaires et besogneux, Rungis, Thiais et la gare de triage de
Villeneuve. Cette vision est nouvelle pour moi, sans doute quà force de circuler
entre Fontenay, Bourg, Sceaux, Antony et Vélizy, jai agrandi ma connaissance
dun tissu urbain, dense, dédale de routes, de chausse trappes et
dénervements souvent
Je connaissais plus le Sud Est, car cest la route
qui mène à ma province. Nationale 19 : souvenir de lavoir parcouru en stop à
seize ou dix-sept ans, direction Paris bien sûr. Jétais
rentré un ou deux jours plus tard avec un routier qui mavait payé un repas du
côté de Colombey, je devais être affamé et un peu paumé sans doute. Mes parents
nétaient pas au courant : javais fait mon Rimbaud et cétait sans doute
ma première histoire de VRP : vagabond, routes
possibles.
(31/07/2009)
Jai passé le cap des 200 000 connexions et je ne men suis pas aperçu. Ça a
du se passer dans la journée du mercredi 17 juin, je devais être dans le fin fond de la
Haute-Marne en visite chez mon Julien Gracq à moi, Jean Robinet (voir Note
décriture du 26 juin 2009) en compagnie de Gil Melison, également auteur et internaute malicieuse. Cette visite
dailleurs est emblématique : au moment où mon site virtuel sautait un chiffre,
jétais plongé en bonne compagnie dans le vrai monde, une paire dheures
démotion et découte, quelque chose quaucun site, quaucun mot ne
saurait exactement retracer. 200 000 connexions en neuf ans dexistence de Feuilles
de route, pas de quoi pavoiser : cest très peu par rapport à dautres sites
du même genre, une goutte deau dans locéan du Web. Mais ma perception a
changé, comme celle de beaucoup de pionniers dalors : le 19/09/2001, en Notes
décriture, je métonnais des 2400 connexions dans un espace encore bien en
friche où blogues et fesses-boucs nexistaient même pas dans la tête des
informaticiens de lépoque, lesquels futurs créateurs devaient sans doute être
encore occupés à se poursuivre en rigolant dans les cours de récré du primaire. Et le
23/6/2004, jannonçais 50 000 connexions, presque cinq ans jour pour jour avant les
200 000 actuelles qui ne métonnent même plus. Javouais pourtant à cette
époque regarder ce compteur abstrait quotidiennement. Le 04/10/2006, cétait 120
000 visites que je signalais pour six ans dexistence de Feuilles de route mais
déjà lhabitude internautique reléguait cet anniversaire au même rang que celui
des supermarchés parfaitement organisés. En ce moment, la fréquentation de mes pages ne
cesse de baisser depuis deux ans, phénomène qui minterpelle. Sans doute que
loffre pléthorique dInternet et les sollicitations diverses et nouvelles du
web y sont pour quelques choses. La multiplication des blogues, les accroches pertinentes,
les graphismes alléchants proposent dautres nouveautés que léternel et
inchangé Feuilles de route. Les communautés fesses-boucs et autres touiteurs accaparent
les internautes plus sûrement que la navigation web à vue. Bref, Internet change, se
structure, comme un monde nouveau qui crée ses règles, rien de plus logique et normal.
Et cest pourquoi Feuilles de route ne change pas dun iota. Jai toujours
affirmé ma curiosité pour le phénomène daccumulation et dusure du temps
que représente Internet. Et cest bien pour pouvoir questionner ces paramètres
quil faut que Feuilles de route puisse résister aux changements, se figer dans le
monde initial des pionniers du Net et prendre un peu de hauteur vis-à-vis de ce que
lon juge très vite obsolète et démodé. Que lon qualifie Feuilles de route
de ringard, rien ne me fait plus plaisir : cest exactement là où je voulais en
venir, un truc intemporel, au-delà des modes, mais capable dêtre un repère de ce
qui fut, un bidon oublié et insignifiant sur la mer du Web. La baisse de fréquentation
régulière de mon site illustre parfaitement où se déplace lintérêt global des
internautes : le vieux bidon qui flotte sur leau, ça on connaît, on rechigne donc
à le ramasser. Dans ce point de vue, Internet est devenu alors un monde aussi mercantile
et consumériste que les autres échanges planétaires, ce qui nétait pas son
esprit au départ ou plutôt ce qui nétait pas dans les rêves de ce qui sy
sont glissés à lorigine. Il ny a rien à regretter cependant, cette
évolution était courue davance. Non, simplement cet article est aussi là pour
dire à tous les tenants du tout Internet comme unique solution de tous nos maux (tous nos
mots), aux aficionados persuadés de participer à un monde nouveau et plus égalitaire,
quils se trompent : Internet, cest encore se regarder dans la glace et
cest le visage du vieux monde quon y voit, il faudra faire avec.
(19/07/2009)
LIran bien sûr, on en parle. Ça revient sous les feux de lactualité comme
on dit et bien entendu pas de la meilleure façon qui soit. Ce qui fait que dans quelques
jours, semaines, mois, le pays retombera dans loubli au profit de préoccupations
franco-françaises (et ma retraite hein ? et mon pouvoir dachat ? et la grippe
porcine ?). On gardera ainsi le souvenir dun vague pays quon sait à peine
situer, entrevu quelques secondes à la télévision, placé dans le carcan étroit du
fanatisme. Renforcement de nos idées reçues. Jai eu la chance de visiter
lIran, il y a deux mois et jai bien senti la persistance de nos idées toutes
faites : à revoir dans cette même rubrique, larticle du 17/05/2009 et même date
en webcam, plus carnet de voyage. Bien
sûr il y a eu ce choc culturel relaté à chaud juste après le voyage et létrange
impression dune population gaie et avide de vivre avec un peu plus de liberté.
Paradoxalement, cest la révolution de Khomeiny qui a enclenché ce mouvement : le
régime a misé sur léducation, la population jeune qui na pas connu la
révolution est maintenant instruite et les femmes sont, comme dans
nos pays occidentaux, plus assidues et loin dêtre à lécart, quelles
portent un simple voile ou la burqa. Dailleurs, ce qui surprend, cest ce
contact facile entre hommes et femmes, bien loin des habitudes yéménites que
javais découvertes lannée passée où, si le contact nen était pas
moins chaleureux, il nétait pas question à ce quune femme aborde directement
un homme (et le contraire bien entendu aurait été également très mal perçu).
Les manifestations publiques, très durement réprimées, sont bien lexpression de
cette soif douverture que javais constatée. Peut-être plus encore que le
résultat démocratique dun scrutin dans un régime où le moindre trafiquant de
drogue est puni de la peine de mort. Pour beaucoup, Moussavi nincarne pas forcément
louverture mais le retour dun homme de lépoque de la guerre Iran-Irak.
Le sujet du nucléaire, la volonté dune non-ingérence des états occidentaux,
lidée dun peuple millénaire et fier, qui a versé le sang dun
demi-million de personnes il y a tout juste vingt ans, a construit un nationalisme que
nous avons parfois du mal à saisir. Cest sur ces bases que le président a
construit son discours. Le risque est bien entendu que lhomme de fer de lIran
muscle encore plus son discours et perde toute mesure, si ce
nest pas déjà fait.
De la même manière, ne perdons nous pas toute mesure a introduire une loi visant à
interdire le port de la burqa au moment où ce pays a besoin dune reconnaissance ?
On ne pouvait pas trouver pire moment pour redresser nos ergots et réaliser un amalgame
stupide qui va encore renforcer nos idées reçues vis-à-vis de létrange
étranger. Notre iron man français ne vaut guère mieux que celui de lIran quand il
se drape dans la burqa du matador.
(26/06/2009)
Dans une ville voisine, trois magasins de pompes funèbres ont été
cambriolées la même nuit. Lanecdote est curieuse : les montes en lair
utilisent-ils les méthodes du marketing sectoriel ? Par exemple, le lundi on ferait les
stations services, le mardi les boulangeries, le mercredi les banques
etc. Bref,
toute une organisation digne dune stratégie décoles de commerce, le métier
de la cambriole sintellectualise
Dune autre manière, concernant le commerce des morts, on peut se demander ce qui a
pu les attirer : on paye rarement en liquide la pierre tombale ou la prestation de service
«organisation complète des funérailles 24h/24 et 7j/7, étude personnalisée avec devis
gratuit ». De ce fait, les officines sont rarement sécurisées, on force une fenêtre,
un tiroir et on rafle la recette du jour, produit de quelques fleurs artificielles
quune grand-mère a renouvelé pour un mari mort depuis des lustres, dune
plaque quun fils soucieux a changé, dun angelot en faïence exposé dans la
vitrine et quun passant a trouvé joli. Trois magasins de pompes funèbres forcées
comme cela, à la queue-leu-leu. Ça me fait penser aux feuilletons télévisés Experts,
NCIS et autres Bones qui fonctionnent également par série de trois épisodes la même
soirée. La ressemblance ne sarrête pas là puisque dans ces séries, la mort y est
également présente, comme par ailleurs elle ne la jamais été précédemment,
avec, dans chaque épisode, linévitable tribu denquêteurs et de médecins
légistes capables de remonter jusquau meurtrier grâce au moindre cheveu calciné,
au moindre bout de chair putréfié. Le corps a ainsi pris une nouvelle représentation,
un étalement où la rigidité cadavérique répond à la froideur scientifique des
enquêteurs. Spectacle fascinant des fictions de la nouvelle télévision et qui répond
à la fascination de tous temps de la réalité de la mort. Jusquà présent la
représentation des corps navait pas franchi celle qui correspond à la destruction
des chairs post-mortem. Ici, elle est mise en show, montrée donc dans léloignement
du « petit » écran, dont la dénomination doit toujours nous interpeller. Oui, même si
on aime ce type de feuilleton (cest mon cas, et cest étrange, moi qui est
toujours été très réticent à la chose télévisuelle), ne pas oublier que
lécran est « petit », c'est-à-dire perdu dans un environnement que vous
maitrisez, le salon, le canapé, la lampe, dernier cadeau de votre belle-mère, « petit
» c'est-à-dire synonyme de mesquin, momentané, elliptique, raccourci, un condensé qui
est tout sauf de la réalité. Je précise cela car beaucoup dadolescents,
paraît-il, sont attirés par le métier de médecin légiste après avoir vu quelques
épisodes bien sentis. Bien sentis nest pas tout à fait exact car il manque
justement la réalité, la vraie vie, limpossible distance que vous ne pouvez avoir
avec le mort repêché dans le canal en bas de chez vous : je connais quelques médecins
qui ont constaté ce type de décès et ce nest pas une partie de plaisir.
La représentation du corps, donc, pour en revenir à cela, a changé au cours des
siècles. Les beautés antiques, grecques et latines, subtilement alanguies se sont
renouvelées à la Renaissance, effaçant les siècles daustérité moyenâgeuses,
avant que cette raideur ne reprennent le dessus sous le poids de la religion. Il faut
attendre la fin du XIX° et surtout le XX° pour constater que le corps na jamais
été si malmené depuis dans la variété de ses portraits, de lopulence de Rodin
à léclatement à la Francis Bacon, de lOrigine du monde de Courbet via le
cubisme de Picasso jusquà la pornographie anonyme devenue monde caché, interlope,
mais bien réel. Aujourdhui, le corps a exploré toute sa nudité. Il restait à
franchir la barrière de la mort, c'est-à-dire dans la représentation des corps, le
principe qui consiste à faire fi de la décomposition, donc de limmortalité en
héritage égyptien qui consiste à garder le plus longtemps possible limage de
celui qui fut, quon a connu. Limpact nest pas neutre : on peut très
bien imaginer dans la suite de ce franchissement important, une nouvelle manière qui
consisterait à exposer sous verre les corps de nos proches, à les regarder se flétrir
dans des cimetières ou ailleurs. Personnellement, ça me fait froid dans le dos, je ne me
sens pas près. Au final, je préfèrerais être dispersé par les vautours sur une tour
du silence comme le faisaient les zoroastriens jusque dans les années 1970.
Mais je méloigne du sujet initial : alors pourquoi a-t-on cambriolé trois magasins
de pompes funèbres ?
(17/06/2009)
On vote paraît-il le week-end prochain et toujours rien dans ma boîte
aux lettres. On nous rabâche pourtant des programmes et des slogans pour les européennes
mais linformation générale est médiocre et ne parvient pas à se décliner
jusquau niveau des villes. Et cest en cela que la démocratie montre ses
limites. Pour voter, il ne suffit pas dun affichage global, on a besoin de noms, de
visages, dune proximité avec ce que lon pense, loin de la réduction
politique. Quand on ne parvient plus obtenir ces simples éléments pour choisir, alors
peut-être pouvons nous croire quon est entré dans autre chose quune
démocratie, une sorte de totalitarisme organisationnel, procédurier. Jimagine que
forcément nous aurons à temps les classiques bulletins de vote, des listes locales
parvenues la veille quon aura à peine pris le temps de lire. On votera donc pour
des appareils politiques comme on dit, toute une tringlerie proposée, béquilles
socialistes, déambulateurs conservateurs, le monde politique vieillissant vécu comme un
handicap, à linverse de ce quon voudrait nous montrer. Quand je suis allé en
Iran, la campagne des présidentielles battait déjà son plein. Ahmadinejad recevait le
soutien des partis et bouclait à lavance linformation à son profit. Nous ne
sommes pas plus glorieux, ni moins calculateurs. Arque boutés dans nos certitudes
dêtre une grande nation propre à donner des leçons, nous ne nous rendons pas
compte de ce même éloignement. Et si cétait simplement une usure naturelle de la
démocratie ? Il mest étrange de constater combien linformation qui
marrive est différente de celle que jattends. LEurope ma toujours
paru une vraie chance, simplement parce quelle nous permet délargir notre
horizon. Lidée que Paris ne serait quune petite ville provinciale dun
état fédéral me serait éminemment sympathique, de même, lidée quon me
laisserait choisir la primeur dune nationalité européenne et quon dépasse
cette absurde notion de frontière. Il y a huit ans (déjà), la
parution de La Réserve, au-delà de son côté
satyrique, nétait déjà que la manifestation de cette aspiration. Depuis jai
voyagé et cet universalisme sest encore accru. Discuter, déchiffrer encore et
toujours les rouages des pensées, même les plus difficiles. Et cest ainsi revenir en Iran : oui,
le pays semble soudé autours de lidée dun nucléaire, oui, certains nient
lholocauste. Je pense à cette famille dIspahan, rencontrée dans un parc et
avec qui nous avions sympathisé. Pour qui vont-ils voter, eux qui possèdent un centre
denrichissement duranium aux portes de leur ville ? Il ne sagit pas
dacquiescer mais de comprendre et pour cela il faut dialoguer et ne pas rester dans
notre enfermement de français moyens. En attendant, jirai voter dimanche, l'Europe est déjà tellement petite à l'échelle du monde.
(05/06/2009)
Étrangeté comme chaque année à franchir les portes de la fac de
lettres à Dijon. Un étudiant égaré me salue au cas où je serai un de ses examinateurs
en cette période de partiels. Un prof à cheveux gris en miroir de moi fait de même au
cas où je serai un collègue. Mais que ce soit ici ou ailleurs, on a pas lhabitude
de voir des potaches dâge avancé hormis lUniversité du temps libre, la mal
nommée parce que le temps est toujours libre, cest un pléonasme et quil vous
renvoie à une sorte despace sans contrainte, un idéal de retraité. La voie que
jai choisie nest pas sans obligations, jai pris loption dés le
départ de me coller les mains dans le cambouis des Lettres modernes (si, si : les lettres
et limprimerie ça salit les doigts même si ça blanchit lâme) comme si je
venais davoir mon bac. Ce nest pas du jeunisme, je connais lâge de mes
artères, cétait au départ un mélange de curiosité, comment on apprend la
littérature en France. Au fil des ans, ça sest élargi par de nouveaux
étonnements : comment on forme des futurs profs, comment sorganise la recherche et
le monde universitaire. Cette année, jai revu avec plaisir Olivier, jeune prof de
français en Suisse justement, qui continue jusquau Master pour espérer un meilleur
emploi. Pareillement surpris tous les deux de se connaître depuis cinq ans déjà, tout
ce chemin parcouru ensemble avec quelques autres donc nous avons fini par perdre la trace
: Fanny, que deviens-tu ? Surpris aussi de tout ce que nous avons ingurgité sans le
savoir, du latin à langlais, de la linguistique à lancien français,
quelques belles découvertes. Je nai nullement besoin de diplôme comme Olivier. Pas
envie de changer demploi aussi pour linstant. Mes études sont ainsi sans
contraintes, hormis cette évaluation annuelle mais qui me semble aller de soi : on a
toujours besoin dun regard extérieur, institution, entreprise, pour faire le point.
Cette année, il me semble que ça a marché moins bien que les années précédentes mais
il faut relativiser : ce nest quune question dorgueil, un niveau de
mention espéré, récompense et nonos au bon chien que mon éducation maura
inculqué jusquà la moelle. Bref, je vais sans doute poursuivre après ce Master,
comme ça, gratuitement, histoire de mettre un peu plus le bras dans lengrenage
dune recherche académique qui a fini par me happer tout entier. Étudiant tardif
dans la longueur dun temps qui ne compte plus, donc. Cest linverse de
mon fils qui a inauguré sa panoplie toute neuve cette année (et en plus à
lUniversité de Dijon
) et qui annonce déjà son empressement à travailler
rapidement. A le voir, jai vraiment limpression quil cherche à
reproduire le parcours similaire que javais eu à son âge. Je me souviens
exactement des sensations que javais éprouvées dans cette émancipation familiale
: un oiseau sorti du nid. Peut-être est-ce plus logique de travailler tôt et de
continuer à apprendre toute sa vie plutôt que linverse, cest-à-dire quitter
le système universitaire une fois pour toute et passer le restant de ses jours à jouir
dun métier acquis en tendant de dos. Logique est ici abusif, car cette manière de
penser est totalement remise en cause par la crise actuelle : fin du travail ? Pas sûr,
on y reviendra en plein dici quelques années et dailleurs ça touche de près
à mes préoccupations de recherche. Quoi quil en soit, en parlant doiseau
sorti du nid, cétait à moi doccuper le nid estudiantin du fils, inoccupé
momentanément pour cause de stage. Jai ainsi dérogé à la règle des chambres
dhôtels photographiées chaque année à cette occasion (Webcam des 30/05/2008, 05/06/2007, 15/03/2006). Je nai pas résisté à la tentation de fixer
aussi quelques images. Ce qui me surprend le plus, cest
limpression dévoluer dans son univers que je ne connais pas, objets, tasses,
collection de thés. Sa façon aussi dorganiser lespace et rien avoir avec la
chambre quil occupe dans notre maison, le désordre dun lieu qui lui
appartient en commun avec nous. Idem pour ma fille depuis plus longtemps, dans une autre
ville à trois cents kilomètres de son frère. Et comment on lui rend également visite
dans cette même impression de pénétrer dans un univers sur la pointe des pieds,
mélange de curiosité et détonnement : comment on a fait pour quils soient
devenus autonomes. Habitants dune ville non-universitaire, leur liberté soudaine
nous est tombée dessus sans quon ait le temps vraiment de sy préparer, le
bac et puis de suite songer à la rentrée, loin dici. Nous, restant seuls, à
nouveau jeunes mariés sans enfant et eux, précipités dans la vie, oiseaux sortis du
nid. Après les quelques jours passés à Dijon, je suis allé rendre visite à mes
parents sur le chemin du retour. Mêmes impressions : quelques objets que je ne connais
pas au milieu des meubles familiers, un cadre nouveau accroché au mur, la cafetière
changée, quelques aménagements différents. Mais ici, cest moi le fils.
(29/05/2009)
De retour dun pays étranger, jai souvent du mal à reprendre
mes vieilles habitudes. Que labsence, loin du sol familier, soit longue ou courte,
quelle dure une ou plusieurs semaines na pas dimportance. Cela doit
tenir à se relâchement soudain de lattention, de létonnement pour autrui
quon ne connaît pas et qui nous a accaparé. LIran tout récent na pas
échappé à la règle : tout est à comprendre, leffort est grand : histoire,
philosophie, religion, architecture, vie quotidienne, langue, rien de ne se donne
facilement. Et pourtant, il suffit simplement de mettre en action les cinq sens : ce qui
est à voir, les mots inconnus, les parfums rencontrés, les frôlements, le goût des
choses. On ne se rend pas compte de la concentration que cela provoque. Revenir,
cest laisser retomber cette tension. Tout ce qui a occupé chaque seconde le
voyageur sannule dès linstant de latterrissage en terrain connu.
Visages ordinaires, paysages communs, nourriture usuelle, tout revient en masse,
mécaniquement, sans distraction ; sans la saveur de la nouveauté.
Le retour vers la langue natale, surtout, est un supplice (et cest pourquoi
léchappatoire annuelle en Sicile est appréciée) : cest deviner exactement
ce qui sera dit daprès lexpression des visages, cest nommer chaque
objet depuis le plus banal au plus élaboré, cest sentir cette vague énorme qui
vous submerge : mots, phrases, tournures, tout ce quon retrouve sans le moindre
espace de liberté : un étouffement.
Suffocation en effet : rien na changé en mon absence, pas la moindre petite
originalité. Bestiaire domestique vit sa vie de nouveau livre au calme plat, le
travail retrouvé sest enchaîné dans la suite des jours, dehors on manifeste
mollement. On parle dEurope parce quon est obligé mais on revient vite aux
préoccupations françaises, puis régionales, de quartier ou villageoises et enfin,
individuelles. Et tout cela arrive par ma langue natale, des non-nouvelles, des jours de
non-anniversaires comme dans Alice au pays des merveilles mais sans le charme de
lenchantement. Jaimerais être étranger en mon propre pays et pouvoir annuler
ma langue natale - dun coup de baguette magique puisquon parle de conte - et
redécouvrir chaque lieu, objet, visage avec des mots inconnus.
(22/05/2009)
Le tourisme, dans sa définition du Petit Larousse, cest voyager
pour son agrément. On pourrait penser que cette activité est une invention relativement
nouvelle : cest Flaubert voyageant en Égypte avec Maxime du Camp, Rimbaud à
Londres ou à Bruxelles avec Verlaine. Cette manière de parcourir le monde soppose
aux nécessités que nos manuels dhistoires ont identifiées : invasions barbares,
migrations de populations, voyages dintérêt marchand (Le même Rimbaud au
Harar
) ou grandes explorations destinées à accroître la connaissance du monde.
Dans ce domaine, on pense avoir tout découvert, aussi le tourisme a-t-il pris un aspect
plus péjoratif, individualiste, inutile. Partir sallonger sur les plages dune
île paradisiaque est devenu synonyme dune muflerie de riches, en plus, on brûle
impunément nos dernières gouttes de pétrole dans des charters en se foutant du monde de
demain, disent les intégristes écologistes. Il y a du vrai, même si cest
exagéré. Je plaide coupable : deux vols internationaux et trois vols intérieur pour
parcourir lIran. Je plaide coupable : pas dintérêt particulier à aller dans
ce pays, juste voir. Mais il y a dautres accusations plus stupides que lon
ma faites : aller là-bas, cest cautionner le terrorisme. Moi jamais
jirai là-bas, ma dit un quidam, habitué par ailleurs dêtre rat de
plages dominicaines ou dautres exotismes faciles. Nempêche qualler se
rendre compte par soi-même, pure curiosité donc, cest souvrir lesprit
et se réaliser les clichés abusifs dun Occident bien zélé (une invention bien
pratique que ce concept dOccident, dailleurs). On a le choix, cest sûr
: rester le nez dans le sable, convaincu de la nécessité de sa supériorité ou
écarquiller ses yeux et tenter de comprendre. Mais une des réticences à aller dans ce
pays réside dans lobligation pour les femmes de se voiler en public, cest à
dire dès que lon sort de la chambre dhôtel. On oublie vite que nos mères
ont porté des foulards à chaque fois quelles sortaient faire leurs courses jusque
dans les années soixante. La seule restriction pour les hommes est le port du short ou du
bermuda. Inégalité entre les sexes et donc le voile, toutes les crispations que
lon a vécues, les lois sur les signes ostentatoires de religion, tout ce qui
finalement na jamais produit que leffet inverse en France, renforcer les
communautarismes. Voyager cest tout le contraire, aller vers lautre mais y
aller avec un profond respect et non pas dans lattitude colonialiste. Voilà ainsi
un pays qui a décidé dune loi islamique qui impose le port du voile. Soit.
Cétait après 1979 et nombre de femmes qui avaient participé activement à la
révolution ont paradoxalement vécu lensemble de ces préceptes restrictifs aux
libertés comme de bonnes choses. Justement la liberté. Il suffit de se promener dans
nimporte quelle rue, nimporte quel coin pour se rendre compte que celle-ci
nest nullement affectée par le port du voile. La mode iranienne est suffisamment
inventive, les voiles glissent de plus en plus vers la nuque, même vu une jeune fille
avec un percing au menton. Mais on sent, comment dire une certaine unité, un certain
charme : jean en bas, tunique au-dessus et voile uni ou alors tenue noire plus
traditionnelle. Les visages sont découverts et rieurs. Mais il y a de quoi ! Découvrir
les touristes affublées est assez risible : les conseils donnés avant de partir sont du
type, cacher vos formes, vos bras, rien sur les couleurs ou le tissu, la manière de
porter le voile. Bref, vous vous retrouvez à la sortie de lavion avec des touristes
à fichus multicolores, à blouse de peintre, déguisement carnavalesque. De même, il est
formellement interdit dapporter des jeux de cartes, cétait marqué en gras
sur mon guide mais là-bas, le vendredi dans les parcs tout le monde joue aux cartes.
Bref, il serait temps que les agences de tourisme revoient leurs clichés, reflets des
mêmes réticences que nous avons à imaginer un futur radieux pour ces pays. Mais
lavenir, quel quil soit, leur appartient : la moitié des habitants avait
moins de dix ans lors de la révolution iranienne, donc moins de trente ans
aujourdhui. En France, on frôle les 30% de plus de soixante ans. Ce sont eux qui
voyagent le plus et on atteint ainsi linverse des nomades du temps jadis qui
voyagaient tôt puis partaient se reposer dans leur région natale : Flaubert auprès de
Madame Bovary et Du Camp à lacadémie française.
(17/05/2009)
On a rendu récemment hommage à François Dagognet, lors dun
colloque qui sest réuni à Langres, sa ville natale et en sa présence. Ce docteur
en médecine est surtout connu pour être un philosophe éclectique, auteur de nombreux
ouvrages approfondissant des sujets aussi divers que lépistémologie ou lart
contemporain, ainsi que du très utile 100 mots pour commencer à philosopher. Ce
livre est relaté en Notes de lecture du 16/07/2003 et le philosophe est également
présenté en Étonnements et en Notes décriture. Cette mise à jour spéciale qui
date déjà de cinq ans était destinée à réparer un oubli dans lanthologie 52
écrivains de Haute-Marne, parue quelques mois plus tôt et que javais
codirigée. En effet, si Diderot y tient une place de choix, luvre et
limportance de François Dagognet le positionne en digne successeur du philosophe
des Lumières.
Cette manifestation avait lieu au même moment que celle destinée à honorer Jean Robinet
avec la présence de René de Obaldia et que jévoquais la semaine précédente.
Loin de moi lidée dun cocorico chauvin pour ma « terre natale » comme la
nommait Marcel Arland, simplement, ces témoignages culturels me rassurent. Nous savons
combien nos départements se dépeuplent. Nous ne pesons pas lourd devant
lattraction de capitales régionales mais aussi dun Paris bien proche qui va
accroître encore sa centralisation (cf lambitieux Plan Schéma Directeur
déquipement de la région Île de France, voté lannée passée,
jusquà lhorizon
2030 !). La culture fait souvent en premier les frais
de ce vieillissement de la population si on ny prend pas garde. Rester vigilant
donc, simplement par respect et intérêt pour les habitants que lon côtoie tous
les jours. Cest aussi pour cette raison que je suis fier davoir accepté un
travail journalistique, ponctuel mais un vrai, destiné au premier numéro dun
journal culturel régional. Même si cette initiative demeure exclusivement
institutionnelle, elle a le mérite dexister. Voilà, je rendrai compte pour ce
premier numéro dun panorama de lédition contemporaine en France, cest
la tâche qui mest confiée, ainsi que celle dinterviewer un éditeur
régional avec qui jai déjà pris contact. Marchés de niche, retour sur
investissement, chiffres et partenariats, cette première approche barbare me ravit tant
il est vrai que le petit monde de lédition passe dabord par sa compréhension
économique avant de sancrer dans la philosophie humaniste de François Dagognet ou
le lyrisme bucolique de Jean Robinet.
(17/04/2009)
Vialatte, je ne connaissais pas. Cest mon éditrice qui men
parle en premier. Elle dit, à propos de Bestiaire domestique : ça peut
intéresser des inconditionnels de Vialatte. Vous voyez ? Je fais oui de la tête pour ne
pas avoir lair plus bête que les animaux de mon livre. Et comme je lavais
fait lorsque lanimatrice de France Culture mavait comparé à Carlo Emilio Gadda : on est fier, on range ça dans un coin de
sa tête et on va vérifier plus tard. Alexandre Vialatte, donc : sur Internet
japprends sa vie et surtout quil a publié aussi un bestiaire composé de «
soixante portraits dinsectes, de reptiles, doiseaux et de mammifères (dont
lhomme, la femme, lItalien, le Turc et lAuvergnat) ». Je fonce à la
bibliothèque municipale, pas de bestiaire mais il y a tout un
rayon de ses chroniques. Je feuillette, je vois de suite la proximité, le cousinage
provincial : sa manière de diluer le discours, une chose en amenant une autre et la
citation en fin de chaque chronique devenue proverbiale, comme un sceau final, une marque
de fabrique : et cest ainsi quAllah est grand...
Décalage humoristique que jaimerais posséder, bref, belle découverte que ces
écrits plus profonds quil ny paraît au premier abord, lair de ne pas y
toucher dans une faconde matoise. Il y a du René Fallet là dedans, en même
compagnonnage auvergnat.
Dans la vie dAlexandre Vialatte, deux périodes mimportent, hormis la qualité
émérite dêtre traducteur et spécialiste de Kafka. La première dure à peu près
vingt ans, jusquà sa mort prématurée (ou tout du moins à peine au seuil de la
vieillesse) : il devient chroniqueur pour le journal La Montagne. Jy retrouve
un parallèle avec lécrivain Jean Robinet, qui tient une pareille rubrique dans le
journal régional de LEst Républicain sauf que ce
dernier, sil a commencé à peu près au même moment que Vialatte, continue encore
dans son grand âge. Soixante ans donc, de ces articles toujours peaufinés, dune
manière peut-être moins originale que celle de Vialatte mais tout aussi attendue de ses
lecteurs : on lui rend dailleurs hommage en ce moment à travers une exposition à
Nogent qua inaugurée il y a à peine une semaine René de
Obaldia, son compagnon de captivité en Silésie. Et cest là un autre point commun
qui réunit Vialatte, Robinet et De Obaldia : tous trois furent faits prisonniers en 1939
ou 1940 dans cette drôle de guerre. René De Obaldia et Jean Robinet sen sont sortis grâce à un cercle littéraire clandestin quavait fondé Robinet
dans son stalag : début de sa légende puisque notre écrivain-paysan fait passer sous le
manteau de Pologne en France son premier livre Compagnons de labour rédigé
sur du papier demballage. Mais revenons à Alexandre Vialatte car il na pas eu
la chance davoir un tel exutoire littéraire pour échapper à sa condition de
prisonnier : il est interné à lhôpital psychiatrique Saint Ylie de Dole, histoire
de se remettre. Cétait en 1941 et cest la deuxième période qui
mintéresse, heureusement brève. Cet épisode me touche particulièrement puisque
jai animé un atelier décriture il y a trois ans (déjà) dans cet hôpital
de Sainte Ylie. Huit mois passé, une fois tous les quinze jours dans ces lieux, 440 km
aller et retour et au milieu cette succession de bâtiments et de bien nommés « patients
» indissociables de ces architectures du XIX° siècle. Un des soignants mavait
expliqué à lépoque que dans ce genre dendroit, certains,
parmi les plus âgés, sy trouvaient depuis la 2° guerre
mondiale. Peut-être se souviennent-ils du passage de Vialatte ?
Décidément ce lieu nest pas commun. Il avait auparavant servi de cadre au film Le
juge et lassassin puisque lassassin en question fut
également un ancien pensionnaire de Sainte Ylie, Joseph Vacher, je crois.
Pour autant, pour moi, après trois ans, il me reste une impression, non pas de
sauvagerie, mais de grande douceur. Oui, le mot nest pas exagéré. Combien
passaient vite les 220 km pour y aller, combien les échanges étaient partagés, leur
soif de connaissance, tout ce quils mont apporté, combien léquipe
dergothérapeutes était attentive et passionnée. Les lieux aussi restent précis
dans ma mémoire : vieux bâtiments à noms darbres, la
pierre rauque des façades, la chaleur de notre grenier avec un vieux piano dans un coin
dont nous navons jamais ouvert le couvercle. Il y avait les participants et moi
groupés autour des tables, attentifs : un havre de paix dans la course du monde. Qui a
raison ? Qui est doué de raison ? Questions quon se pose forcément ici, dans la
maison des fous, tant je nai jamais compris ce que faisaient
coincés là des semblables à moi, capables des mêmes émotions, dimagination, de
logique, dune tendresse et dintelligence supérieure à la moyenne bien
souvent. Jétais à cette époque en convalescence, du moins il me semble que les
torpeurs, langueurs que javais vécus un an auparavant sestompaient, une
reconstruction quon dit mais va savoir ce qui sétait démoli en moi. Je suis
ainsi venu aussi en thérapie dans ce lieu qui ma sans doute fait autant de bien à
moi quà eux et ce nétait pas prévu au départ, je ne le réalise que
maintenant. Des souvenirs donc, des visages, des attitudes, des fragments : Anthony
embourbé avec son fauteuil roulant dans le goudron tout frais et juste répandu des
allées en travaux ; Emmanuelle, une énergie tendue, toujours enthousiaste pour écrire, sexprimer, lire ; Raphaël, toujours précis et si doux lorsquil prenait la parole ; Marcelle, cent ans à lépoque (aux dernières nouvelles
toujours là) coincée au milieu de gens à lesprit plus vieux ou plus dérangés
quelle ; Alain, manières de vieux routard échoué dans ce
port ; Marie-Thérèse, pauvre vie mais toujours partante ; Pascale aussi, à lorigine de cet atelier, attentive et
passionnée de tout ce petit groupe : une écoute comme peu de soignants peuvent avoir.
A distance alors et si parfois certains vont encore sur mes pages, merci à vous car
cest ainsi quAllah est grand.
(10/04/2009)
Lanecdote date dun mercredi, il y a dix jours. Je revenais par
le train vers ma ville. Cétait une de ces journées où on a limpression
davoir couru tout le temps, du matin au soir. Cette journée doctorale sur la
psychologie de la relation pour mon boulot, réflexions et la fatigue que cela provoque
dêtre attentif, de simplement écouter. Et ce rendez-vous qui avait suivi chez
léditeur. Vite, sortir, prendre le Métro, un peu de retard. Arrivé là-bas, le
grand plaisir que jai dapprendre quon avait lu ma note de lecture (du
06/02/2009) sur Nancy Cunard, Pauvert et Fayard, javais oublié le
rapprochement
Puis jattends un peu et me voilà dans le bureau, éditrice,
attachée de presse, on fait le point. Jaime leurs façons daller à
lessentiel, chercher des pistes, en trouver. On parle de Bestiaire domestique
évidement et dans ce bureau très clair et vitré au troisième étage, les pigeons,
comme dans mon livre sy sentent aussi effrontés, ils rasent les vitres, lun
va même jusquà taper au carreau. Elle dit que certains rentrent dans le bureau, la
frayeur, on ne peut pas laisser les fenêtres ouvertes. Je dis en riant que je peux
écrire une suite, si elle désire. On parle, on note, le temps passe vite. Je regarde ma
montre, le train pour le retour est dans une demi-heure, après il ny en a plus,
juste le temps. La course encore puis le train. Ouf. Sasseoir, souffler. A peine :
je prends une feuille et je note tout ce qui sest dit chez léditeur, ce
quil faudra faire dans les prochaines semaines, toute une organisation. On souffle
encore. Le poids de la journée passée, avoir été attentif, lécoute.
Psychologie, tu parles.
Ils sont cinq. Ils arrivent dans le compartiment, cherchent leurs places. Cinq gaillards,
quarante à cinquante ans qui parlent fort. Quatre se tassent en face les uns des autres,
lun dentre eux, en vis-à-vis de moi. Ma première réaction, cest de
penser que ça ne va pas être facile de bosser sur lordinateur. Toujours ma manie
de ne perdre aucune minute, alors jallume le portable, combien de chapitre de mes
bouquins se sont écrits dans un compartiment. Mais là on sait que ce sera peine perdue,
jai du mal à me concentrer avec leurs conversations et la fatigue de la journée
aidant
Jéteins tout et je prends le livre commencé le matin même en sens
inverse (Chroniques caissières dEugénie Boillet, très bien, penser à en
faire une note de lecture). Ils parlent de machines, de tracteurs, de moissonneuses. Je
comprends que ce sont des agriculteurs de la Marne, de ces étendues plates et longues,
monotones dont les seules cathédrales sont les silos de betteraves (et depuis peu les
éoliennes). Ça me fait penser à un été en 1979, à larmée, du côté de
Mourmelon, il fallait garder en plein champ des stations de pompage de kérosène. Il y
avait personne à des kilomètres à la ronde, les gars passaient leur temps à se balader
à poil au soleil avant quon vienne les chercher, jétais de ceux là (il
faudra aussi que je pense à raconter tout ça). Cest un deux qui my
fait penser, un grand type qui me rappelle un collègue, même voix, même faconde. Il
joue lépate, raconte que juin est le meilleur mois pour lui. Rien à faire en
attendant les récoltes et que ça pousse. Il dit quil passe son temps à faire des
barbecues avec la belle sur, toute la famille quoi. Il a une piscine aussi.
Lun dit : et tas résolu ton problème avec la piscine ? On apprend que son
cheval a eu la mauvaise idée denjamber la margelle, quil a marché avec ses
sabots dedans et le liner est foutu. Il ajoute : jen ai trouvé un doccase,
1800 euros quand même. Il na pas voulu faire marcher lassurance. Il aurait pu
mais bon. De toute façon, il ne lui arrive que des conneries avec cette piscine, le chat
retrouvé noyé il y a peu : il avait dû marcher sur la bâche et elle sétait
enfoncée sous lui, il navait pas su remonter. Le train sest arrêté.
Lun deux dit : cest beau, avec les trains de maintenant on nentend
plus le bruit des rails et de mimer : takatakata takatakata. Les autres se fichent de lui
: cest un TGV tu sais ! Nempêche quon est arrêté en pleine campagne.
Il fait nuit, il est vingt heure trente. Je mets mes mains contre la vitre mais on ne voit
vraiment rien dehors. Jai arrêté de lire, le livre est presque fini,
jattendrai quils soient partis, je sais quils descendent avant moi. Mais
avec ce train qui ne redémarre pas, ça risque de durer
Ils parlent maintenant de
vacances. Lun dit quils vont partir avec la coopérative en Normandie voir une
exploitation qui fait du chanvre. Ils reparlent mécaniques, chevaux vapeurs,
investissements, rendement à lhectare. Ils évoquent les représentants toujours
pressés de faire essayer des nouvelles machines agricoles. Ils citent lun
dentre eux qui a toujours son tracteur depuis trente ans. Et il marche comme une
horloge. On repart enfin. Le TGV cest souvent comme cela : 300 à lheure et le
reste du temps à perdre à larrêt celui quon avait gagné en allant vite.
Châlons arrive. Ils se lèvent, massifs, enfilent des blousons, gênés aux entournures.
Une demi-heure de retard. Certains ont appelés des proches, dautres disent,
jai encore trente minutes de trajet. On imagine leurs fermes au milieu des champs.
Je les vois sur le quai, leurs petits sacs à dos tenu par des mains disproportionnées.
Ils sengouffrent dans le souterrain. Le train repart, je reprends le livre. La
fatigue aussi me tombe dessus. Je ne ferai pas de vieux os le soir.
Et là, pourquoi se souvenir de cela, de ce mercredi si occupé, le voyage, la psychologie
de la relation, ma cravate, leurs pullovers, les pigeons effrontés qui frappaient au
carreau chez léditeur. Et par-dessus tout, limage dun cheval de labour,
descendant tranquillement ses sept cents kilos au fond dune piscine, crevant le
liner avec ses sabots, heureux, la tête au soleil à côté dun barbecue qui fume,
comme une histoire à la Raymond Carver. Décidément, il y aura
toujours une suite imprévue à ces bestiaires.
(03/04/2009)
Le Magazine
littéraire davril, tout juste paru dans les kiosques tombe à pic
dans lactualité du Bestiaire domestique. En effet, ce mensuel consacre un
dossier passionnant sur « lesprit des bêtes » ou « quand les animaux font la
littérature ». Le Bestiaire domestique y est présenté dans une bibliographie
des « récentes histoires naturelles » au milieu dune vingtaine douvrages
(voir en Bestiaire) mais là
nest pas le plus intéressant. Le dossier de ce Magazine
littéraire, comme toujours très complet et exhaustif, ratisse large, explorant notre rapport actuel aux animaux. La relation
des écrivains avec leurs compagnons est rehaussée de photographies : Léautaud au milieu
de ses chats ou encore Sagan, Colette, Céline et pourquoi pas Houellebecq dans
lintimité de leurs relations à leurs compagnons domestique. De passionnants
articles sur la zoologie contemporaine ou le « grand zoo social » du XIX° siècle (sans
oublier les illustrateurs de lépoque, notamment Granville), tissent une structure
cohérente qui part du Moyen âge en passant par Jean de la Fontaine. Lethnologie
nest pas absente, notamment dans les passions totémiques dont le prolongement est
peut-être dans de nombreux ouvrages de SF ou dans
des jeux vidéo fantastiques. Les philosophes restent carnivores constate Elisabeth
de Fontenay tandis quAlain Mabanckou nous gratifie dun inédit «
lhistoire du coq solitaire » qui aurait pu avoir sa place dans mon bestiaire. Je suis forcément sensible à ce dossier, et je retrouve décuplé,
comme un écho au milieu du cirque de Gavarnie, les rapports fugitifs avec la gent animale
que jai voulu décrire.
(27/03/2009)
La Réserve sort de sa réserve : épisode
3 : Indigènes de la Haute-Marne.
« Un beau matin du XXI° siècle, on sétait réveillé européens
dabord, provinciaux de la France ensuite, indigènes de la Haute-Marne en dernier.
»
(La Réserve, Haute-Marne 2017)
Ainsi, nous voilà coincé dans notre Haute-Marne. Enfin coincé est un bien grand mot :
labsence de frontières aux départements nous fait « partir du Nord, de la tête,
caresser cette colonne vertébrale dasphalte et sarrêter au fond du grand
fessier de ce département », comme je lécrivais en 2000 dans La Réserve.
On glisse de Saint-Dizier à Langres avec facilité le long de notre affluent de Seine
mais les véhicules de passage préfèrent les vallons doux entraperçus depuis
lautoroute et le soleil de Langres, sculpture brumeuse aperçue trop tard : la
Haute-Marne est déjà derrière, dailleurs savent-ils où elle avait commencé ces
automobilistes hollandais, ces camionneurs belges ou slovaques ? Existence éphémère,
circulez, il ny a rien à voir, sauf à garder le souvenir douloureux dun
procès pour infraction routière, car notre maréchaussée, qui sennuie, déploie
son zèle au bord des routes. Sauf à regarder la météo, car les animateurs de la
télé, qui sennuient aussi, savent se distraire en citant Langres dans les
températures les plus basses. Il y aurait de quoi déprimer avec une telle image, si nos
élus, institutions et autres énergies départementales ne déployaient pas tant
defforts pour donner un semblant dexistence à notre contrée. Infatigables
comme Simon, le jeune cadre de préfecture de mon livre, tous ces acteurs fourmillent
didées. Il faut dire que le mécanisme administratif de nos projets départementaux
que jexposais alors, sest renforcé au point que labsence de fonds
européens peut se révéler une catastrophe pour les mener à bien : lexemple
récent de la ville de Saint-Dizier vient de le montrer. Dailleurs, dans les
Conseils généraux et régionaux, il y a toujours un fonctionnaire de haut-niveau,
exclusivement dédié à la recherche et la gestion de la manne européenne. De même, les
Communautés de communes qui existaient si peu à lépoque se sont répandues et ces
jeunes structures (en France, un millier dentres elles ont moins de 5 ans
dexistence) travaillent quasi exclusivement en mode-projet comme on dit maintenant.
Mode des projets, donc, de la construction de la médiathèque à la piscine du coin, du
tracé dune piste cyclable au ramassage des déchets, tout se gère avec des
spécialistes et lagitation dun Simon qui pouvait encore passer pour incongrue
et exceptionnelle dans La Réserve est devenue monnaie courante, même en
Haute-Marne. Surtout dans nos petits départements, devrais-je dire, car nos élus ont
bien compris que lattractivité de nos régions faiblement peuplées passe par la
mise en valeur didées originales. Mais comme dans la ferme modèle de Simon, leur
réalisation reste souvent en deçà des retombées que lon espérait. Le petit
Poucet malin nexiste que dans les contes et, au bilan des vrais comptes, on constate
bien des désillusions : le pôle Diderot de Langres a capoté et lambitieux réseau
Natura 2000 se déploie trop lentement dans sa complexité. On multiplie les réalisations
en espérant que la dernière saura donner lessor nécessaire au département. Voici
le nouveau musée de Colombey : on espère 120 000 visiteurs par an, soit 500 en moyenne
par jour, léquivalent de 20 autobus les jours de pointe. Comptes
dapothicaires sans doute nécessaires mais un peu vain : que pouvons nous
représenter avec nos 186 500 habitants au recensement de 2006, alors que la région
parisienne saccroît tous les deux ans du même nombre ? Pour autant, notre
département bénéficie justement du charme de son abandon. Situé à quelques encablures
de lIle de France, notre île déserte pourrait bien représenter dans le futur un
havre de paix pour des citadins en mal de verdure. Cest donc bien le tourisme
quil faut y développer, à linstar de Simon et de sa ferme modèle de La
Réserve.
Mais si jai pu avoir ce talent de visionnaire il y a quelques années, je
navais pas prévu larrivée dautres oiseaux de malheur attirés par
notre archipel, les mêmes dailleurs qui autrefois allaient réaliser des essais
nucléaires sur des atolls lointains et qui cherchent à se débarrasser maintenant des
déchets de même nature sous notre sol, ni vu ni connu, à coups dindemnisations
temporaires. On ne pourra pas courir deux lièvres à la fois, jouer la carte dun
tourisme vert en surface et le polluer dans ses racines. Même à être persuadé
quil ny aurait aucun risque comme on tente de nous le faire croire, la seule
idée dun quelconque danger intrinsèque (et il existe dans la matière radioactive)
suffit à torpiller tout projet de développement touristique. Bien sûr, jévoque
Bure mais aussi les nombreuses idées tout aussi malsaines qui ne manqueront pas de se
manifester dans lavenir. La population en déclin dun département par
conséquent peu riche pourra-t-elle sy opposer ? Nous avons des choix à faire.
Cest un vaste débat qui fera couler encore beaucoup dencre
La
Réserve a encore de lavenir devant elle !
(21/03/2009)
La Réserve sort de sa réserve : épisode
2 : Provinciaux de la France (paru dans le Journal de la
Haute-Marne le 08/01/2009)
« Un beau matin du XXI° siècle, on sétait réveillé européens
dabord, provinciaux de la France ensuite, indigènes de la Haute-Marne en dernier.
»
(La Réserve, Haute-Marne 2017)
Posez la question à vos voisins : quel est le rôle de notre président en Europe ? Il y
a fort à parier que vous aurez autant de réponses différentes. Est-il Président de
lEurope, de lUnion européenne, du Conseil Européen ? Pendant combien de
temps ? Les feux de lactualité ont placé notre présidence française pour six
mois au cur des 27 autres pays de notre communauté. Six mois passent tellement vite
et notre président redeviendra très prochainement un provincial de notre pays, toujours
prompt à visiter aux quatre coins de notre pays, une usine davant-garde, un
quartier difficile, inaugurer le musée dédié à un grand homme ou éteindre le feu
dune grève et de ses revendications. Cette suractivité sapparente au journal
télévisé de Jean-Pierre Pernaut dans lénumération des petits coins où il fait
bon vivre. Or, que la caméra balaye de son il indifférent le bain de foule du
Président au sortir dune visite au salon de lagriculture ou la sérénité de
la dernière lavandière du Poitou-Charentes, le résultat est identique : nous
navons quune idée fragmentaire de notre pays, multiple certes, mais soumise
à autant dinterprétations. Ce manque dunité renforce notre vertige, à
commencer par notre appartenance à notre état cocardier. Je sens déjà vos petits
ergots se dresser : comment, cet olibrius attaque encore la Marseillaise ? Que nenni :
aucune leçon de civisme dans mon propos, simplement je suis comme vous, incapable de
situer Vilnius sur une carte ou de connaître le nom de plus de cinq Sénateurs de la
région. La multiplicité des points de vue nous embrouille plus quautre chose :
LEurope lointaine nous agace mais semble incontournable, la Haute-Marne garde notre
quotidien et nos deux pieds sur un sol stable. Coincé entre cette vision lointaine et
notre rassurante image de presbyte, il devient difficile de se représenter notre pays
quaucun dessein ne vient magnifier. Alors oui, en ce sens, nous sommes bien
provinciaux de la France, comme je lécrivais en 2000 dans La Réserve.
Or, sans que nous nous en rendions compte, le paysage français à changé. Et au sens
propre, dans une dimension géographique que mon imagination pourtant prolifique avait
ignorée. Prenons lexemple des éoliennes. Qui aurait imaginé à lépoque
cette forêt de pylônes capable de concurrencer notre département pourtant boisé ?
Provinciaux de la France nous le sommes aussi tant il est vrai que la ville sétend
et déborde largement sur les duchés danciens régime. Il nest pas besoin de
nommer la ville. Autrefois, je voyais quelques campagnards, casquette en arrière, venir
« à la ville » pour quelques emplettes au supermarché du coin. Il en reste bien sûr
mais les citadins qui les regardaient avec quelque condescendance ne sont plus là pour
les remarquer : eux-mêmes vont « à la ville » qui sappelle pour linstant
Troyes, Nancy ou Dijon, et deviennent à leur tour des ruraux. Or bientôt, dans ce
mouvement ininterrompu, ce sera le tour de ces cités à lexemple de Reims que le
TGV réduit pour certains à une ville dortoir. Car sil est bien une prévision que
lon peut faire pour lhorizon 2017, cest létendue absurde mais
inévitable de la Région Ile de France. Dailleurs, un peu partout dans
lagglomération parisienne, des affiches fleurissent vantant que la présidence de
cette région a adopté son Plan Schéma Directeur jusquà 2030 ! Ce qui veut dire
concrètement une augmentation toujours plus grande de son activité, de sa
centralisation. Si à lépoque de la parution de La Réserve, on trouvait encore des
champs vers Marne-la-Vallée, les urbanistes prévoient que sa population aura doublé en
trente ans et possédera deux fois plus dhabitants que la ville des sacres, située
à 100 km et les rémois se retrouveront banlieusards sans avoir rien demandé. Voilà la
France qui se dessine pour 2017 et que je navais pas abordé dans mon livre. Notre
Président, après son rôle actuel en Europe, peut bien revenir soccuper de ses
provinces en monarque : jamais cette appellation ne leur a si bien convenu. Et il
nest pas besoin dêtre un grand devin pour savoir quil y aura encore
bien des sujets dactualités comme le coût prohibitif des loyers en Ile de France
ou le malaise des banlieues. Sauf que la banlieue frappera à la porte de nos champs. Nos
dernières vaches seront-elles taguées ?
(13/03/2009)
Jai été sollicité en fin dannée dernière pour écrire
quelques articles pour le Journal de la Haute-Marne. Jai ainsi rédigé trois
articles, sous forme dun feuilleton en trois épisodes, au sujet de mon premier livre paru en 2000 : La
Réserve, Haute-Marne 2017. Il me semblait que cétait le moment de faire le
point à mi-chemin de cette saga prémonitoire qui voit son aboutissement se dessiner à
la date contenue dans son titre. Malheureusement, le journal naura passé en janvier
dernier que le deuxième épisode de ce feuilleton intitulé La Réserve sort de sa
réserve. Les lecteurs du canard de mon département nont pas dû y comprendre
grand-chose
Voici la série complète, étalée sur les trois prochaines mises à jour de cette rubrique.
Épisode 1 : européens dabord
« Un beau matin du XXI° siècle, on sétait réveillé européens
dabord, provinciaux de la France ensuite, indigènes de la Haute-Marne en dernier.
»
(La Réserve, Haute-Marne 2017)
Thierry Beinstingel a le plaisir de vous annoncer la naissance dAdèle, Benoît, Bernard, Claire, Simon, Olivia, Vincent
Ce faire-part date davril 2000, il y a huit ans
déjà et lheureux événement avait eu lieu grâce à Dominique Guéniot, médecin
chef à la maternité éditoriale de Langres. Huit ans donc que les principaux personnages
de La Réserve se meuvent à labri dun petit carré de feuilles,
appelé livre, rehaussé dune splendide couverture verte qui ne se ternit même pas
avec le temps (merci Gérard !). Le récit annonce en sous-titre Haute-Marne 2017
et cette projection dans le futur a souvent été loccasion des fanfaronnades
dun auteur tout neuf auprès de ses acquéreurs : rendez-vous en 2017, je vous
rembourse si ce que jai prévu dans ce roman danticipation ne se produit pas !
Maintenant, à mi-chemin de la date fatidique, il serait peut-être temps que je vérifie
la trajectoire de mes prévisions et que je sache si je dois briser le petit cochon de mes
économies qui, à lépoque, semplissait encore en francs.
Plutôt que des cochons, cétait des bovins que la farce mettait en scène.
Souvenez-vous : en ce tout début du tout nouveau millénaire, nous sortions à peine de
la crise de la vache folle, Nous avions déjà éliminé à tours de bras de nombreux
exemplaires du sympathique ruminant et javais imaginé que notre département rural
serait le dernier en 2017 à posséder un troupeau : point de départ de lintrigue.
Car aventures, manigances et autres agissements relient les protagonistes de ce roman :
Simon, jeune et brillant fonctionnaire, cherche un faire-valoir dans la création
dune ferme touristique où lon viendrait nombreux admirer les derniers
spécimens des bêtes à cornes chez deux sympathiques exploitants, le Bernard et
lAdèle, comme on dit chez nous. Tout se passe selon les rêves de Simon, tempérés
par son père, Vincent, et par Claire, la fille de nos agriculteurs, jusquà ce que
Bruxelles et lEurope sen mêle avec le concours de la belle et flamboyante
Olivia. Voilà pour le résumé.
Ce que javais prévu donnait la part belle à une Europe pleinement constituée. Mon
imagination lavait dotée de 643 ministres, 2430 députés européens et dun
Conseil des conseils avec 107 membres permanents placés sous la coupe dun
Président de la confédération européenne pour un total de 36 états. Côté politique,
je suis plutôt en passe de réussir mon pari : lunion européenne à ce jour compte
27 membres, on en a déjà rajouté 12 depuis la parution de La Réserve et il ne reste
plus quun petit effort à fournir pour atteindre mon chiffre, ce qui ne semble pas a
priori difficile : un peu de bonne volonté pour intégrer la Macédoine, la Croatie et le
Monténégro, en cours dadhésion, et pourquoi pas la Turquie (là, jaborde un
sujet sensible
). Ce serait bien le diable si cinq pays nouveaux ne se manifestaient
pas avant 2017 dans la cinquantaine qui prennent plus ou moins leurs aises sur le sol de
notre continent.
Les 785 députés qui siègent actuellement au Parlement européen sont loin de la
représentativité que javais imaginée mais le fonctionnement en commissions
diverses et variées existe bien. Les quelques exemples que je citais (« pour la
protection des escargots des îles Shetland, contre la pollution de la Durance, pour la
rénovation des taxis de Lisbonne, contre la destruction de la Tour Eiffel, pour la
promotion du rugby à Naples »), sont certes moins précis et surtout moins poétiques,
mais tout aussi nombreux : commission des budgets, de l'emploi, de l'environnement, de la
santé, de l'industrie
Rien que de les citer, il faudrait une page complète. Notons
toutefois que les droits de lhomme ne font lobjet que dune
sous-commission et le changement climatique que dune commission temporaire !
Le panorama de lEurope est aussi complexe que dans mon roman. Je nai aucun
mérite à cette anticipation : on ne crée pas une cohérence politique facilement avec
nos vieux pays millénaires. Nous avons cru que la mondialisation dune économie
suffirait à nous réunir dans sa logique mais le refus du référendum de 2005 rappelle
nos limites. Le poids du bon vieux temps empêche de nous projeter dans lavenir et
nos frontières personnelles ne dépassent pas les piquets de parc de nos prés. Pour
autant, je reste persuadé quon peut se sentir habitant du monde entier et de « la
réserve » haut-marnaise. Comme en 2000, je rêve toujours de cet avenir généreux.
Jécrivais alors « Il ne sest rien passé depuis vingt ans. Ou si peu
». Finalement, cest plutôt vrai. Chers acquéreurs de mon livre, jaurais
tendance à garder quelques années encore les 120 francs que vous maviez confiés
à lépoque, pardon, je voulais dire les 18 euros 30.
(06/03/2009)
Aucun rapport direct avec Courir tout juste paru de Jean Echenoz,
ni avec les sportifs de Georges Perec dans W ou le souvenir denfance, mais
jai pris depuis longtemps lhabitude de courir. Ça revient régulièrement
(Note détonnements du 21/12/2005). Je reste rarement plus dun an sans
chausser les baskets ou sautiller sur le bitume. Je reprends cette (bonne) habitude
pendant quelque temps, juste assez pour me dire à chaque fois que si je continue ainsi, je minscris pour une course de 10 km pour
le Téléthon ou un semi-marathon, pourquoi pas. Je ne cours pas vite cependant. Au
début, la reprise est toujours un peu pénible, le souffle manque. Après quelques
séances, les courses sallongent. Il y a deux ans, un circuit me faisait parcourir
jusquà 7 km, mais limportant est de partir courir plusieurs fois par semaine.
Jai commencé assez tard à courir. A 26 ans, ça a été ma meilleure année.
Jétais en formation pour 6 mois à Lille, jallongeais presque tous les jours
de bonnes distances dans un vaste parc de la périphérie. Je me souviens dune
course de 13 km en un peu plus dune heure. Je me souviens avoir participé à un
cross où jétais arrivé dans le dernier tiers. Je nai jamais été un cador.
Au lycée, je pratiquais ce sport les mercredis
mais mon prof de lépoque avait tout fait pour men dégoûter par son
indifférence, voire par sa franche hostilité devant mes piètres résultats. Mais
jaimais cela et aujourdhui je le remercie davoir été aussi con : ça
ma blindé le caractère et à 18 ans, on en a besoin (si on devrait décerner une
médaille aux profs les plus nuls quon a eus, les mines de cuivre seraient taries
depuis longtemps). Plus tard, à larmée,
javais été incapable daligner les 3 km réclamés en quinze minutes mais on
mavait fait marcher 100 bornes en trois jours.
Que ce soit à 26, 30, 40 et maintenant 50 ans, la course à lavantage de ne jamais
changer : un pied devant lautre, un souffle qui se coordonne et la solitude
dune allée darbre ou dune rue déserte devant soi. Jaime courir
tout seul, on peut penser à tout ce quon veut, même à la littérature et pendant
ce temps la peau de la ville traverse la vue et respire à travers vous. Ces derniers
étés, jai couru chaque jour en Sicile en famille, parfois
matin et soir pour accompagner les différentes attirances
de chacun selon quil préfère la chaleur du soir ou de la claque du soleil au
matin. Depuis une quinzaine de jours, jai repris mes circuits solitaires dans la ville. La deuxième fois, alors que jétais encore un peu
essoufflé, un ancien collègue du Central qui revenait chez lui
en vélo ma accompagné le long du canal. Discuter tout en courant est une bonne
manière daccommoder sa respiration. Je connais un vétérinaire qui a pris
lhabitude de courir chaque matin des distances souvent
supérieures à 10 km. Il emmène un baladeur et écoute les conférences du Collège de
France quil a précédemment enregistrées sur France Culture. Cela fait des années
quil fait cela, il a un sacré entraînement. Un jour, son fils la inscrit en
même temps que lui à une course. Il y est allé, a raflé la première place dans la catégorie des séniors devant de vieux routards licenciés de
club et qui lont regardé, médusés, partir sans attendre sa médaille dont il se
fichait comme de lan quarante. Cest cet esprit là que japprécie :
courir surtout pas pour la gloriole, encore moins pour la performance mais
juste sentir son cur battre et cest tout. Enfin pas vraiment tout :
derrière la course il y a la respiration et cest la même sensation que lire un livre ou écrire, ou écouter sur un
baladeur des conférences, courir cest sans doute une des activités les plus
intellectuelles.
(06/02/2009)
Au boulot, je partage un bureau avec une collègue. Situé sous les
combles dun vaste bâtiment, dans une aile quasi vide, on a
parfois le sentiment dune île déserte, dun havre de paix ou dun exil
ennuyeux selon lhumeur. Bureau de passage pour les nomades que nous sommes, nous y
restons peu de temps. Un jour où jy travaillais tout seul, jai entendu dans
le grand silence juste rythmé par le cliquetis du clavier de mon ordinateur portable, un
petit bruit ténu qui semblait venir de larmoire derrière moi, un frottement, un
froissement de papier. Jai tout de suite pensé à une souris installée dans la
tranquillité de notre grenier. Jai remué quelques dossiers, je mattendais à
voir une petite boule grise filer à travers la pièce mais il ne sest rien passé.
Et le bruit na plus recommencé. Quelques jours plus tard, jai évoqué cette
anecdote à ma colocataire qui a fait le rapprochement avec une pomme quelle avait
retrouvé grignotée (celles délicieuses de mon verger, jen apporte toujours
quelques unes). Bref, en fouillant plus dans nos armoires, nous avons aperçu
quelques traces de notre hôte. Nous avons aussi
retrouvé les gestes et la mémoire collective de chasse à la
souris : on garde toujours une tapette, inusitée depuis des lustres mais
qu'on sait toujours retrouver, va savoir pourquoi, le genre d'objet qu'on se transmet au
gré des occasions similaires dans l'entourage familial, petit piège à ressort qu'on
essaie enfant en y introduisant un crayon à papier, histoire de voir. Je me
souviens dailleurs de deux amis à Toulouse (il y a trente ans) qui avaient pris
loption dapprivoiser la souris domiciliée dans leur buffet parmi les pâtes
et les biscottes, plutôt que de la décapiter ainsi.
Lépilogue de lanecdote est original : la tapette est
restée amorcée avec son petit morceau de fromage mais nous avons
retrouvé la souris allongée au pied dune troisième armoire, morte de faim
probablement.
Jaurais pu intégrer cette historiette à mon Bestiaire domestique. Les
développements peuvent être multiples et source dune belle inspiration.
Lendroit isolé de ce bureau au grenier comme révélateur de la course et de
lévolution incessante de nos métiers, limmuabilité de ce combat pour vivre
une telle île déserte entre les Robinsons que nous sommes et la petite souris-Vendredi,
confrontée au même problème. On peut aussi errer vers dautres contrées, vers les
archives grignotées dans les armoires, tout ce que lon a entassé et qui semblait
si important et stratégique pour lentreprise quelques années auparavant. On peut
dériver vers lanalogie entre la souris informatique et celle faites
de vrais poils, chemins aléatoires de petits pas contre trajets numérique sur les
pixels de nos écrans, même quête de vie dans lépaisseur dInternet ou dans
lespace bien réel. On peut aussi partir vers la nostalgie, mes vingt ans à
Toulouse et ces deux compères qui métaient sorti de lesprit et qui
reviennent dans ce souvenir intact et précis du rongeur quils tentaient
dapprivoiser.
Qui sait, je ferai peut-être une nouvelle de tout cela, tant limaginaire semble
riche et simplement par le truchement dune petite souris
grise. De la même manière, cest dailleurs cet impromptu sauvage de la vie
qui a guidé lensemble de ce Bestiaire domestique. Le lieu de mon bureau au
quatrième étage y est dailleurs présent en filigrane à travers dix histoires sur
les quarante et une mais le lien animal y est représenté par des pigeons (dont on
imagine aussi les prolongements ambigus entre ces lieux du travail, pigeons et salariés
interchangeables
).
« Les animaux, par excellence, nous apportent limprévu », ai-je écrit dans un
argumentaire destiné aux représentants de ma maison dédition. Je ne savais pas en
rédigeant cela, combien ce petit imprévu
continuerait de travailler les mêmes lieux comme une mise en abyme permanente du texte.
(30/01/2009)
Jai placé un petit « hope » d'Obama en page d'accueil au soir de
son investiture. Jai suivi en direct son discours et je mesure combien nous avions
besoin dentendre ces paroles. Depuis le onze septembre, il me semblait que nous nous
enfoncions dans une sauvagerie planétaire sans fin, bloc contre bloc, Nord ou Sud, Est ou
Ouest, pourtant tellement à lécart de ce jai pu ressentir en voyage, vaste
sollicitude humaine, compréhension réciproque que ce soit au Brésil, en Égypte, en
Jordanie, au Yémen.
Jai placé aussi ce petit signe parce quen lisant les autres blogs
littéraires, nos paroles mont parues tellement éloignées, perdues dans les vastes cuisines décriture, lexpression « avoir le nez
dans le guidon ». Je lai placé, donc, histoire de relever la tête et de signaler
à ceux qui traversent ces pages que le mouvement du monde se situe de ce côté et
quon y est sensible.
Rien nest résolu, on le sait bien, mais ce petit « hope »
cest pour dire aussi que je suis un type profondément heureux et optimiste.
(23/01/2009)
Peu de véritables rubriques
Étonnement en ce début dannée. Non quil ny ait
de motif de surprise dans la vie quotidienne. Simplement, le train-train
oblige à une vie austère où la course folle des jours empêche bien souvent de
détecter lextérieur. Par conséquent, la fuite des jours se résume en une
avalanche de tâches autour du boulot, routes et mises en route de
lannée qui commence comme si janvier devait être éternellement
le mois des remises en question. Cette semaine donc, Amiens, Lille et Paris, entrecoupée de retours rapides dans mes deux villes champardennaises
de résidence et de travail. Reste le reste et ce reste est le principal, écriture et
littérature. Donc rien détonnant à ce que cette rubrique, comme celle de la
semaine dernière soit consacrée à cela, et plus particulièrement aux 600 pages de la Condition littéraire de Bernard Lahire (en note de lecture de la
semaine dernière) que jai avalé pendant les creux du sommeil.
Hormis le statut hésitant dauteur ou décrivain que javais évoqué la
semaine dernière, cest cette fois, la perception dune intermittence, non pas
de ce statut (qui nexiste nullement pour le secteur du livre contrairement à
dautres vies dartiste) mais plutôt de la vie chaotique que peuvent
connaître tous les écrivains dans lélaboration de leur uvre. Un des
nombreux exemples qui jalonnent ce livre ma beaucoup frappé : celui dun
écrivain, auteur dune quinzaine de livres, dont neuf chez
Gallimard, excusez du peu, et qui se trouve actuellement dans la difficulté de trouver à
nouveau un éditeur. Cet exemple me frappe particulièrement au moment où mon cinquième
livre chez Fayard semble pouvoir me donner une petite assurance de même que les petites
phrases du style « vous êtes chez vous » participent de cette relative tranquillité
desprit. En réalité, on constate bien qu'on remet son titre
en jeu à chaque proposition de publication, selon l'usage. Bien sûr, un tel exemple taraude : on se demande quelle
disgrâce peut peser sur cet auteur qui a tout de même dû réunir au fil des ans, une
attente et un suivi chez ses lecteurs. Passé de mode ? Peu importe les motifs. Ce qui
choque, cest la manière dont son éditeur principal le laisse tomber (peut être est-ce justifié, uvres moins abouties, par exemple). En
tout cas, ce silence éditorial interpelle. Je me souviens avoir cherché en vain une
suite à LÉtabli de Robert Linhart, mais ce silence, cest sa fille
Virginie qui nous la expliqué (je dis nous, comme à nous lecteurs) avec son très
beau livre Le jour où mon père sest tu (Notes de lecture du 18/07/2008).
Une autre anecdote aussi me vient à lesprit. Cest celle de Jean Robinet, mon Julien Gracq local, qui va fêter la semaine
prochaine ses 96 printemps et qui me racontait avoir rendu visite à lun de ses
éditeurs parisiens (je crois me souvenir que cétait Flammarion) longtemps après
quelques livres parus : tous ses interlocuteurs avaient changé
sauf une secrétaire qui lavait reconnu et Jean Robinet me racontait avec quelle
émotion il avait ressenti cette reconnaissance. Car cest bien de cette notion
quil sagit, la reconnaissance du travail intellectuel que lécrivain a
fourni. Un seul geste parfois suffit, un lecteur qui se rappelle à vous, par exemple, mais toutefois sans oublier que cest bien léditeur qui est
chargé de ce rôle de mémoire et de tous ses auteurs sans exception, surtout pour ceux
qui ont eu plusieurs publications. Le mot maison dédition prend alors tout son sens
: on sy retrouve chez soi, la part de parole quon a déversé à travers nos
mots doit toujours retentir entre les murs même si cétait il y a longtemps, même
si plus personne nest là pour sen souvenir dans cette grande chaîne éditoriale. Peut-être dailleurs
manque-t-il un métier chez les éditeurs, pas seulement un
dépositaire ou un archiviste, mais quelquun qui serait
chargé à ce que, dans les bureaux de ces maisons, résonnent toujours les mots des
ouvrages et des auteurs oubliés dans la valse des publications :
un crieur de mémoire.
(18/01/2009)
Dans La Condition
littéraire (en Notes de lecture cette semaine), plusieurs auteurs interviewés, pour
ne pas dire la quasi-totalité réprouvent lappellation décrivain en ce qui
les concerne pour préférer celle dauteur. Écrivain leur paraît trop prestigieux,
pas adapté. Beaucoup considèrent que cest aux autres (à la communauté
littéraire) de leur consacrer ce titre. Pour qualifier leur travail, ils préfèrent
généralement le titre dauteur. A lire leurs interviews, on mesure combien est
importante le choix de la dénomination, souvent dailleurs à travers les réactions
parfois virulentes envers qui enfreint la règle. On sent derrière une sorte
desprit de corps : lun dentre eux fait même remarquer que lusage
est de se dénommer auteur « entre nous »
Alors, vraie pudeur ou fausse modestie ? Peu importent les motivations individuelles mais
tâchons den regarder les causes et les conséquences collectives.
Refuser le terme décrivain, cest paradoxalement extrêmement prétentieux.
Cela confine à la sacralisation dune activité, à la désignation par des pairs,
au renfermement et à lélitisme. Honni soit le pauvre rimailleur de province qui se
désignerait ainsi !A linverse, dire que Julien Gracq est uniquement un auteur
sonnerait faux. On perpétue ainsi la tradition des lettres et limage du «
grantécrivain » et on refuse en parallèle de voir piétiner par le journaliste
outre-Atlantique Donald Morrison (voir note dÉtonnements du
05/12/2008) lidée même quil ny a plus démergence de «
grantécrivain ». En réalité, tout se passe comme si, collectivement réunis dans un
troupeau dauteurs, chacun sattendait à être désigné, et seulement lui,
comme lécrivain, l'unique, celui qui fait autorité. Or, sous des aspects
égalitaires du type gauche bien pensante, la communauté littéraire est, par nature,
profondément individualiste et évolue dans un microcosme éditorial dont le
fonctionnement est un archétype capitaliste. En résumé, le monde littéraire agit dans
un mandarinat du même type que celui de lÉducation nationale -peut-être parce que
ce ministère compte dans ces rangs beaucoup dauteurs ? (décrivains ?). Les
auteurs forment le gros du bataillon comme les profs certifiés ; à lautre
extrémité, les écrivains sont adoubés en profs agrégés ou universitaires. Entre les
deux camps, ça se taille des croupières en douce...
Lironie est facile ! Plus sérieux sont peut-être les différences
dutilisation des mots auteur et écrivain. Auteur revêt beaucoup daspects :
on peut être auteur de théâtre, de romans, auteur-compositeur interprète, bref rentrer
dans la communauté plus vaste des artistes dont les moyens dexpression, on le voit,
dépassent largement le seul recours à lalignement des mots qui forment
lécriture. Écrivain est plus spécialisé, plus contraint au travail de scribe que
sa signification avance. Ça fait plus poussiéreux, mieux érudit. Bien que le monde des
auteurs se défende de son utilisation, « écrivain » est le plus commode à ajuster et
à combiner : on dit travail décrivain, manuscrit décrivain, on peut moins
associer auteur à la manière, à la faconde, au métier et à ses cuisines. Du coup,
auteur ça fait un peu bricolo ou trop procédurier comme lexpression droit
dauteur. On ne peut pas mélanger les deux : si un auteur de polar se double du
titre décrivain public pour subsister, il ne pourra être pris au sérieux.
Cest la guerre des mots, ce qui est un comble pour ceux qui se sont fait une raison
de vivre de leurs cohabitations harmonieuses. Pour résoudre ces conflits, on peut
décréter larbitrage du dictionnaire (dont les mots sont débattus par
lAcadémie française mais de moins en moins dimmortels en habits verts sont
écrivains, ah, ça se complique
) mais dans ce cas auteur renvoie à écrivain
(Petit Larousse illustré, modèle 1982). On peut aussi, pourquoi pas, demander
lavis de ses proches, famille, amis, voisins (pas ses pairs puisqu'il réfutent tous
le nom d'écrivain !) Je suis quoi pour toi, auteur ou écrivain ? Votre adolescent
sen fout, votre boucher sait bien que vous êtes « le fada décrivain » (il
est du midi), vos voisins ne savaient même pas que vous écriviez. Pour les timides ou
ceux qui hésitent encore, on pourrait inventer un autre terme, un compromis qui
accorderait tout le petit monde littéraire. Mais ceux qui existent sont inadaptés, on le
sait déjà, sinon ils auraient été choisis depuis longtemps : vous voyez un auteur
invité à un salon (ah, oui joubliais, cest aussi une des caractéristiques
des auteurs dans La Condition littéraire : ils détestent cela) se présenter en
disant : Marcel Machin, gens de lettres ? Les autres mots intéressants quon
pourrait inventer sont déjà pris : celui qui fait des livres, nest pas le livreur,
et celui qui joue avec les mots nest pas un moteur.
(09/01/2009)
Il est d'usage de dresser
un petit bilan de l'année écoulée. Enfin disons que l'usage n'est pas toujours
respecté : l'année passée, le jour le l'an au Yémen avait
volé la vedette aux inventaires et autres points, aux bonnes résolutions de l'année qui
s'annonce. 2008 avait ainsi bien commencé sous le signe du voyage et de la découverte.
C'était de bonne augure et l'année aura tenu ses promesses. Débuts difficiles cependant
avec le refus d'un manuscrit chez mon éditeur préféré mais bon, on s'était remis au
travail... pour proposer un recueil de nouvelles qui lui a été accepté en décembre et
programmé pour mars qui vient ! Débuts bousculés aussi par une recherche immobilière
pas facile car rapide mais qui se sera idéalement terminée en juin : me voici
propriétaire d'un pied à terre parisien. Ajoutons à cela quelques difficultés
professionnelles imprévues : nombreux départs et nécessité de reconstituer une équipe
en Picardie avec rien que des têtes nouvelles. Mais le défit aura été une
belle réussite : ambiance idéale de boulot et résultats plutôt pas mal dans un
contexte économique pourtant difficile : plus de quarante de mes collègues auront
retrouvé un nouveau travail ailleurs et souvent avec de très belles réussites. Le
conseiller mobilité que je suis dans CV roman continue à jouer son personnage.
Voilà pour le boulot nourricier que je ne saurais abandonner au profit du travail de
l'écriture : j'ai besoin des deux pour équilibrer ma vie et je n'arrive pas trop mal à
jongler avec tout cela. Premier semestre difficile aussi car le Master de Lettres modernes
entamé a eu du mal à démarrer bien que le sujet de recherche que j'ai choisi soit
passionnant : la littérature contemporaine et le monde du travail. Il aura fallu mettre
les bouchées doubles en vacances et sacrifier, de bon coeur toutefois, cinq heures par
jour de farniente sicilienne. Le jeu en valait pourtant la chandelle et la suite de cette
recherche à tiroirs se révèle tout aussi passionnante. Bref, Feuilles de route
aura pâti de cette suractivité jusqu'en mai, puis je me suis ressaisi et j'ai mis un
point d'honneur à compléter des mises à jour hebdomadaires et complètes dans les trois
rubriques principales. A la fin de l'année, on compte donc 34 mises à jour, ce qui est
tout à fait honorable et conforme aux années précédentes. D'ailleurs en ce qui
concerne Feuilles de route, Publie.net aura édité les quatre premières années
d'archives complètes sous le tire accumulations Internet 2000-2003. Les quatre
années suivantes sont en préparation.
2009 s'annonce donc tout aussi occupé : un double Master pour le fun, la continuité de
celui qui me passionne en Lettre modernes mais aussi un autre en Ressources humaines à
valider, une sorte de reconnaissance du boulot fourni jusque là dans ce domaine qui
m'accapare depuis 2003. Et puis l'écriture qui suit, qui résiste, qui s'obstine, qui
s'arrache au temps. J'attends mars avec impatience et ce fameux bestiaire en route pour
Fayard. Il y aura sans doute d'autres surprises à venir. Je n'ai qu'un souhait : que
cette année qui vient me laisse le même sentiment de bonheur et de plénitude que celle
qui vient de se terminer.
(04/01/2009)
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